
Arbre, centre de la vie, refuge et repère
George Sand 1876, Le Chêne parlant [in Contes d’une grand mère, seconde série], Calmann-Lévy
Résumé
Emmi, garçon de ferme oppressé par sa tante, se réfugie dans un vieux chêne maudit, refuse d’en redescendre jusqu’à ce qu’il croise la Catiche, vieille femme qui joue les attardées mentales pour mieux mendier…
Contes d’une grand-mère, seconde série
- Le Chêne parlant
- Le Chien et la Fleur sacrée
- L’Orgue du Titan
- Ce que disent les fleurs
- Le Marteau rouge
- La Fée Poussière
- Le Gnome aux huîtres
- La Fée aux gros yeux
Commentaires
C’est le conte le plus surprenant et riche du recueil. Ce jeune garçon qui trouve refuge dans un arbre est-il l’ancêtre du Baron perché (1957) de Italo Calvino ? Il est comme lui déçu par la vie, par sa famille, par la société, par son travail et même par les animaux d’élevage. La ramure de l’arbre, comme une cabane d’enfants, constitue un refuge, loin du monde absurde et menaçant, injuste. L’arbre, symbole de la nature protectrice, immuable, bonne de manière innée, est vu même comme maudit par les hommes, moqué pour son apparence difforme due à la frappe de la foudre. Cet arbre protège et nourrit l’enfant, comme la louve a recueilli Romulus et Remus. L’arbre parle et dit de belles choses à qui sait l’écouter (en termes d’amour pour un arbre, on pensera à Mamzelle Libellule, de Raphaël Confiant). Cette communication de l’arbre fera ainsi penser aux recherches et publications récentes de Francis Allais (La Vie des arbres, 2012) ou Peter Wohlleben (La Vie secrète des arbres, 2015). Peut-on également voir le conte comme une opposition entre la nature bienfaitrice et le penchant destructeur et malsain des sociétés humaines ?
Il s’agit d’un conte dans les plus traditionnelles règles de l’art : Emmi est un orphelin, maltraité par sa famille adoptive qui au terme de son aventure devient une personne importante, rencontre adjuvants (arbre, paysan protecteur…) et opposants, comme Catiche peut être vue comme une sorcière, certains éléments du féerique comme l’arbre parlant ou la folle qui a de la raison…
L’exploitation de l’enfant, la vente des enfants comme des esclaves, le village-cour des miracles, amènent une coloration de message social au conte. La figure de la mendiante est profondément ambiguë. Le mensonge qui lui permet de vivre est évidemment négatif, tout comme sa tentative pour exploiter l’enfant. Toutefois, son histoire personnelle, faite d’accidents et de moqueries, son origine sociale la destinant à des travaux manuels indignes – elle a compris par son vécu, l’injustice sociale profonde qui la condamnait de naissance, et refuse ainsi cet état de fait de la société, décide ainsi de tricher. Son accumulation de biens par la tromperie en fait une représentante d’une société d’avarice, mais la volonté d’adopter et de transmettre son savoir et son patrimoine à une victime de la société comme elle en fait également un personnage positif.
Quels messages donnés à l’enfant écoutant le conte ? Amour de la nature, méfiance des inconnus mais aussi compréhension du pauvre et du criminel, valeur du vrai travail. Au travail absurde, à l’exploitation des enfants et des femmes pauvres, Sand oppose le monde d’argent facile que l’enfant doit refuser, même si il comprend bien pourquoi la misère y recourt, puis le vrai travail émancipateur, admirable et en adéquation avec la nature.
Passages retenus
p. 17, Cour des miracles :
– Va travailler, grande fainéante ! c’est une honte à ton âge de courir les chemins quand on peut épierrer les champs à six sous par jour.
– Alors, je fis la boiteuse pour donner à croire que je ne pouvais pas travailler ; on trouva que j’étais encore trop forte pour ne rien faire, et je dus me rappeler le temps où tout le monde avait pitié de moi, parce que j’étais une idiote. Je sus retrouver l’air que j’avais dans ce temps-là, mon habitude de ricaner au lieu de parler, et je fis si bien mon personnage, que les sous et les miches recommencèrent à pleuvoir dans ma besace. C’est comme cela que je cours depuis une quarantaine d’années, sans jamais essuyer de refus. Ceux qui ne peuvent pas me donner d’argent me donnent du fromage, des fruits et du pain plus que je n’en peux porter. Avec ce que j’ai de trop pour moi, j’élève des poulets que j’envoie au marché et qui me rapportent gros. J’ai une bonne maison dans un village où je vais te conduire. Le pays est malheureux, mais les habitants ne le sont pas. Nous sommes tous mendiants et infirmes, ou soi-disant tels, et chacun fait sa tournée dans un endroit où les autres sont convenus de ne pas aller ce jour-là. Comme ça, chacun fait ses affaires comme il veut ; mais personne ne les fait aussi bien que moi, car je m’entends mieux que personne à paraître incapable de gagner ma vie.
6 commentaires sur « Renverse ton image : Le Chêne parlant, de George Sand (conte) »