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Arrache ta science : La Vie secrète des arbres, Peter Wohllenben

Une première marche pour espérer regarder les arbres en face

Wohllenben (Peter) 2015, La Vie secrète des arbres, Les Arènes, Paris, 2017

sous-titre : Ce qu’ils ressentent. Comment ils communiquent. Un monde inconnu s’ouvre à nous.

Traduit de l’allemand par Corinne Tresca (titre original : Das geheime Leben der Bäume. Was si fühlen, wie sie kommunizieren – die Entdecken einer verborgenen Welt.)

Note : 3.5 sur 5.

Résumé

Ingénieur forestier dans l’ouest allemand, près de Aix-la-Chapelle, l’auteur nous fait découvrir le comportement des arbres, leurs manières de communiquer, de s’entraider, de se reproduire, de se servir ou de résister aux autres espèces, de grandir doucement à l’ombre des aînés, de se concurrencer pour une place au soleil, d’assurer la survie de l’espèce, de migrer quand le climat évolue… Toute une vie qui n’est finalement pas si lointaine de celle des hommes, rythme de vie mis à part.

Une poignée de terre forestière contient plus d’organismes vivants qu’il y a d’êtres humains sur terre.

p. 99

Commentaires

Peter Wohllenben n’est pas un chercheur scientifique ni un écrivain, mais un passionné des arbres. L’idée essentielle de ce livre est de faire découvrir, de vulgariser, les arbres et leur mode d’existence en forçant le trait de la comparaison avec l’humain (cf. titres des chapitres : le temps des amours, l’école forestière, rapports de force, logements sociaux, question de caractère, les enfants des rues…). Ce rapprochement est efficace dans la mesure où il permet au lecteur de comprendre et visualiser le fonctionnement des arbres sans être assailli de termes techniques. L’arbre devient une forme de vie à l’existence riche et complexe, là où on le considérait ordinairement comme un stock de bois, une plante certes utile mais un peu bête comme une pierre. L’auteur avoue d’entrée de livre avoir eu cette vision à ses débuts. Les chapitres du livres sont ainsi comme autant d’avancées, d’expériences, qui amèneront le lecteur au même point que l’auteur, à une prise en compte de la richesse existentielle des arbres.
Les anecdotes de l’auteur, servant d’illustrations à un point ou un autre de cette présentation, sont clairement les meilleures passages du livre. Cette vieille souche survivant des décennies sans tronc ni feuilles, juste parce que ses anciens voisins, parents et amis, ont décidé de continuer à l’alimenter, à la garder parmi eux, par une aide alimentaire souterraine, a une puissance évocatrice incroyable qui dépasse le rapprochement un peu forcé à la sécurité sociale. Les trois chênes frères mais réagissant de manière différente aux signes climatiques sont une belle source d’interrogation pour réfléchir au comportement et aux contraintes existentielles des arbres (pourquoi perdre ses feuilles, pourquoi les conifères ne les perdent pas… ? comment captent-ils l’arrivée de l’hiver ?).
Certains passages sont plus obscurs, l’auteur les passant trop vite, les croyant évidents alors qu’ils nécessiteraient un éclaircissement de notions scientifiques ou pratiques complexes. Mais il parvient parfaitement à donner cette épaisseur d’existence nécessaire qui soutient une révision presque complète des croyances et comportements humains habituels face à la forêt et aux arbres : l’erreur d’éclaircir les forêts pour favoriser la pousse (les arbres pousseront effectivement plus vite mais s’en trouveront beaucoup plus fragiles). Observer les arbres donne une série de leçons – sur l’importance de la lenteur, pousser lentement mais sûrement et bien bâti, sur le collectif – à une humanité obsédée de vitesse et de calculs de rendement des individus. On pensera ici au personnage de L’Homme pressé de Paul Morand, symbole de l’homme moderne, qui surcharge la terre de ses plantes et les fait crever et rêve d’envoyer sa femme enceinte aux Etats-Unis où paraît-il de nouvelles techniques permettent de gagner quelques mois… L’importance de l’entraide fera penser à un éventuel prolongement de L’Entraide, de Kropotkine qui avait traité de l’entraide chez les animaux comme d’un principe fondamental de l’évolution et de la survie des espèces avant d’en tirer des leçons pour les humains. Une première base pour un autre monde humain plus équilibré et en accord avec la nature, à creuser avec les réflexions sur les relations de penseurs comme Philippe Descola, Baptiste Morizot… Pour continuer de découvrir le monde des arbres, on conseillera les remarquables interventions de Francis Hallé (en vidéo et dans ses ouvrages La Vie des arbres, Du bon usage des arbres).

Passages retenus

L’aide sociale, p. 28 :
Le résultat de l’étude est d’autant plus surprenant : les arbres compensent mutuellement leurs faiblesses et leurs forces. Le rééquilibrage s’effectue dans le sol, par les racines. Et les échanges vont bon train. Qui est bien nanti donne généreusement et qui peine à se nourrir reçoit de quoi améliorer son ordinaire. Nous retrouvons ici aussi les champignons dont l’immense réseau agit cette fois en machine à redistribuer géante. En somme, le système fonctionne un peu comme nos services d’aide sociale.

En quête du précieux cambium, p. 133 :
L’objet de la convoitise est le cambium, la fine couche de couleur pâle située entre l’écorce et le bois. C’est le siège de l’accroissement de l’arbre, là où les cellules se divisent et produisent vers l’intérieur des cellules de bois et vers l’extérieur des cellules d’écorce. Le cambium est juteux, bourré de sucres et de sels minéraux. Faites l’expérience, goûtez-en. Il est comestible, au besoin nous pourrions même nous en nourrir. Si vous croisez sur votre chemin, au printemps, un épicéa fraîchement abattu par le vent, décollez un bout d’écorce avec votre canif, puis en tenant la lame à plat, découpez de longues bandes d’un centimètre de large. Le cambium a un goût légèrement résiné de carottes et très nourrissant. C’est aussi l’avis des scolytes qui creusent des galeries dans l’écorce pour déposer leurs œufs à proximité immédiate de cette source d’énergie. L’endroit idéal pour les larves qui mangent, grossissent et grandissent bien à l’abri de leurs ennemis. Les épicéas en bonne santé se défendent par l’émission de terpènes et de substances phénoliques qui repoussent, voire anéantissent les ravageurs. Si cela ne suffit pas, ils peuvent engluer les insectes dans des gouttes de résine. Des chercheurs suédois ont toutefois découvert qu’entre-temps les coléoptères avaient peaufiné leur armement. Les scolytes débarquent désormais avec plus de champignons sur leur corps (sous forme de spores ou de fragments de mycélium) qui pénètrent à leur suite à l’intérieur de l’arbre. Une fois sous l’écorce, ils attaquent les défenses chimiques des épicéas et les transforment en substances inoffensives. Comme les champignons se développent plus vite que les scolytes creusent, ils ont toujours un léger temps d’avance sur eux. Résultat : les ravageurs progressent en terrain détoxiqué et ils peuvent manger tout leur soûl.

Question de tempo, p. 166 :
Le moment où l’arbre se sépare de son feuillage est effectivement une question de caractère. Cette opération, nous l’avons vu dans le chapitre précédent, est une nécessité, mais comment savoir quand le bon moment est arrivé ? Les arbres ne peuvent pas sentir l’hiver approcher, ils ne peuvent pas savoir s’il sera froid ou doux. Ils enregistrent la décroissance des phases lumineuses et la baisse des températures. Si tant est qu’elles baissent. Il n’est pas rare que le thermomètre affiche encore des températures de fin d’été en automne, de quoi poser un vrai casse-tête à nos trois chênes. Que faire ? Profiter de la douceur ambiante pour continuer à réaliser la photosynthèse et vite engranger quelques calories supplémentaires avant l’hiver ? Ou bien jouer la sécurité et se défeuiller sans attendre au cas où un brusque épisode de gel contraindrait à un repos précipité ? Apparemment, chacun des trois arbres a un avis différent. Celui de droite est plus anxieux, ou pour l’exprimer de façon positive : plus raisonnable. A quoi bon des réserves supplémentaires si l’on ne peut plus se séparer de ses feuilles et que l’on se retrouve à traverser l’hiver avec une épée de Damoclès au-dessus de la tête ? Mieux vaut lâcher les feuilles et hop, au pays des rêves ! Les deux autres sont plus téméraires. Qui sait ce que le printemps suivant apportera, combien d’énergie une soudaine invasion de d’insectes engloutira et ce qu’il restera ensuite de réserves ? Mieux vaut garder les feuilles et remplir à ras bord les réservoirs, sous l’écorce et dans les racines.

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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