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Imaginez la scène : Farces du Moyen Âge

Théâtre libre des rues, espace de mise en scène du rêve carnavalesque

-anonymes XVe siècle (~), Farces du Moyen Âge, GF Flammarion, 1984

édition bilingue, traduction du français moyen (XVe siècle) par André Tissier

Note : 4 sur 5.

Quelques œuvres de théâtre du Moyen-Âge (et réécritures) :
Le Mystère de Théophile, de Rutebeuf
Le Jeu de Robin et Marion, de Adam de la Halle
Jeu de la Feuillée
La Farce de maître Pathelin
Recueil général des sotties
Recueil des farces, moralités et serments joyeux
Oeuvres complètes, de Tabarin (XVIIe)
Mystère Bouffe, de Dario Fo (XXe)

Sommaire

Le Cuvier ****
Le Chaudronnier *** *
Le Savetier Calbain ****
Le Pâté et la Tarte *** *
Maître Mimin étudiant *** *
Jenin, fils de rien *** *
Un badin qui se loue *** *
Un amoureux ****
Le ramoneur de cheminées *** *
Le meunier dont le diable emporte l’âme en enfer (1496) *** *
Le Bateleur *** *
Les Gens nouveaux *** *

Commentaires

Le stéréotype du théâtre de farce est une scène où s’enchaînent les coups de bâton, les chutes, les mots gras : un comique apriori facile resté populaire au travers des œuvres de Molière (comme Le Médecin malgré lui, Les Fourberies de Scapin), comique qui s’opposerait au caractère plus noble et psychologique de la comédie de mœurs (comme Tartuffe, Le Misanthrope…). Chez Molière, ces éléments hérités de la farce sont le plus souvent intégrés à l’ensemble, en début de pièce, ou en redoublement parodique (les domestiques qui imitent leurs maîtres), comme si la farce, comique sans enjeu intellectuel ou politique, comique bas et gras, n’était qu’une petite préparation, introduction nécessaire ou intermède, pour délasser et captiver le petit peuple, du miel au bord de la coupe contenant le breuvage plus âpre, plus complexe, plus élevé, le rire de l’âme…

Il y a dans ces farces quelque chose de l’exercice de style (à l’image de la mise en abyme proposée par Le Bateleur), de la prouesse attendue servant à attirer l’attention : vont-ils être au niveau ? Autour d’un schéma dramatique connu et peu contraignant, les acteurs ou bateleurs vont démontrer leur savoir-faire aux moments attendus mais aussi donner libre-court à l’improvisation, établir des liens avec le contexte local ou actuel. La distance entre la scène et le public est moins importante dans ce théâtre de tréteaux et l’on peut facilement imaginer des interactions fréquentes (questions-réponses, avertissements naïfs, chœurs…). Les textes, bien que sûrement réécrits et modifiés au cours des siècles par les troupes, sont des sortes de canevas extrêmement attendus et un peu figés, lexique, gestuelle et rimes, objets, mais souples, modifiables à souhait, permettant non seulement une grande popularité des œuvres mais aussi la personnalisation et la virtuosité de l’adaptation.

De prime abord, cette sélection correspond au stéréotype : intrigue simpliste, humour immédiat des cascades et coups, gestes osés et grossièretés. A-t-on perdu l’essentiel de ce théâtre qui passionnait les foules du Moyen-Âge, trop tardivement mis par écrit (XVe siècle) ? Ces foules étaient-elles si rustres (telles qu’on a longtemps voulu les décrire) que seule la grossièreté était susceptible de leur plaire ? Contrairement aux pièces réécrites par Dario Fo dans son Mystère bouffe, le politique n’apparaît pas immédiatement dans ce choix (à part dans la farce-moralité des Gens nouveaux). L’essentiel de ces farces regarde l’intime, le trivial du ménage, des relations de voisinage et du petit commerce quotidien… Mais l’intime n’est-il pas justement le premier lieu d’une lutte d’émancipation, comme pour les anarchistes (qu’on pense à Vis ma vie, d’Emma Goldmann) ? Comment à la fois être libéré de la pesanteur de ses proches et faire communauté ? Si homme et femme ne passaient plus leur temps à se disputer, alors ne seraient-ils pas prêts à se révolter contre l’injustice du seigneur, le jugement du prêtre, l’arnaque du bourgeois ?

La farce semble prendre son sens plein dans la faculté d’élever la personne du peuple qu’elle croque (et parallèlement de rabaisser les personnes qui se voudraient supérieures). Figures de la société ordinaire, femmes et hommes, célibataires, jeunes et vieux… artisans, marchands, gens de petite éducation, mendiants… médecins et curés. Ces farces proposent une galerie de portraits du peuple, questionnant les relations des uns aux autres. Comme autant de mini comédies de mœurs, le but est bien de montrer à chacun l’envers, le point de vue de l’autre, afin de favoriser la bonne entente, le refus des déséquilibres et des entourloupes (on remarquera que la morale n’est pas celle habituelle du plus malin, mais bien le retour à terre de ceux qui cherchent à tricher). Il ne s’agit pas de se moquer du sort de l’un ou de l’autre (nul ne paraît totalement condamné), mais bien de faire rire et réfléchir de ses propres défauts, à regarder son propre petit monde avec compréhension et autodérision, afin de mieux faire corps (et diriger le monde à la place des princes, qui se présentent toujours comme Gens nouveaux mais le mènent à sa perte).

Le Cuvier ****

Jacquinot est forcé par femme et belle-mère à mettre par écrit toutes les tâches domestiques dont il doit se charger pour être un bon mari. Mais voilà que sa femme a besoin de lui pour bouger la cuve…


Sorte de moment étiologique sur le renversement du pouvoir entre femme et mari. Comme pour nombre de farces portant sur le couple, il s’agit pour l’un comme pour l’autre de tirer la couverture à soi, profiter des avantages, de la faiblesse de l’autre, au lieu de partager et de s’entraider.

Car retenez à motz couvers
Que par indicible follye
J’avoys le sens mis à l’envers.
Mais mesdisans sont recouvers,
Quant ma femme si est rallie,
Qui a voulu en fantasie
Me mettre en sa subjection.
Adieu : c’est pour conclusion.

v. 325-332
Le Chaudronnier *** *

Guillemin est en dispute avec sa femme qui lui reproche de ne rien faire. Après échange de coups de bâtons, ils font le pari de celui qui restera en silence après l’autre. Voilà qu’un chaudronnier s’approche voir si l’on aurait besoin de ses services…


Autre peinture d’un affrontement mari / mariée. La farce s’ouvre sur une dispute dégénérant en coups ayant pour objet la poursuite du travail de l’homme au-delà de la satisfaction de ses besoins personnels (marié, il doit travailler pour deux puisque la femme se charge d’autres tâches). On peut imaginer l’hilarité du public dans ce comique de situation imparable et modulable à l’infini. Repris dans quelque nouvelle du genre de Boccace, ce dispositif comique similaire à un « je te tiens, tu me tiens » mais en plus sensuel, a tout du jeu d’enfants (caricature de la dispute des mariés) jeu qui a pour enjeu la domination dans le couple : qui est le chef ? La femme met en jeu son honneur et celui de son mari (qui apparemment a plus à perdre) pour renégocier le partage du pouvoir. La conciliation se fait et aboutit à un couple uni, soudé (peut-être même moins possessif ouvert à l’amour libre…), allant désormais exporter au monde avec le chaudronnier leur nouvel ami cette conciliation. Le peuple réconcilié dans le privé se tourne vers la place publique pour y apporter convivialité et démocratie…

Victoire et domination,
Et bonnet aux femmes soit donné !

v. 56-57

LE CHAUDRONNIER.
Mes bonnes gens, qui nous voyez,
Venez de la gajeure boire ;
Et anoncez et retenez
Que les femmes que vous sçavez
Ont gaigné le pris.
LA FEMME.
Dame ! voire.
L’HOMME.
Allons jouer de la machouere
Et à l’hostel croquer la pye.
Venez y tous, je vous emprie ;
Et [vous] partirez sus et jus
Deux potz de vin qui seront beuz.
Et prenez-en gré sus et jus.

v. 185-195
Le Savetier Calbain ****

Chantant toujours tandis que sa femme lui réclame une simple robe. Elle demande conseil au jeune galant son voisin…


La femme est-elle trop dépensière, ou le mari trop radin ? Les chansons accompagnant la farce illustrent bien cette question commune, ancrée dans la parole populaire (celle des hommes, celle des femmes). Chacun en reste à son point de vue mais le pouvoir de l’un sur l’autre ouvre sur un déséquilibre dangereux pour le couple. Au moment où la farce pourrait tourner à la légèreté, le galant se révèle réellement galant et la femme escroque son mari simplement pour reprendre le pouvoir qui lui a été volé. Elle lui renvoie la malice dont il usait, et use enfin de chantage au sexe pour faire marcher son mari. N’est-on pas là devant une pièce féministe avant l’heure ?
La présence de chansons populaires d’époque, ici partie intégrante du texte, montre que le genre – peut-être aussi les danses allant avec – pouvait très bien s’intégrer au spectacle théâtral, comme cela venait aux acteurs (voire aux spectateurs), pour mettre un peu l’ambiance, pour illustrer… comme dans les récitations traditionnelles de contes (cf. Deux nuits de contes Saamaka). Et comme celles-ci, le théâtre du moyen-âge était sans doute un art complet et ouvert, proposant des intermèdes discursifs, des danses, des mimes…

CALBAIN, en chantant.
Bergerotta savoysienne,
Qui gardez les moutons aux boys,
Voulez-vous estre ma mignonne,
Et je vous donray des soulliers ;
Et je vous donray des soulliers,
Et un joly chaperon, etc.
LA FEMME.
Mon amy, je ne demande sinon
Qu’une belle et petite robette.
CALBAIN, en chantant.
M’amour et m’amyette,
Souvent je t’y regrette.
Hé, par la vertu de sainct Gris !
LA FEMME.
Je suis contente qu’elle soit de gris,
Mon amy, ou telle qu’il vous plaira.
CALBAIN.
Et tout toureloura,
La lire lire.
LA FEMME.
Hélas ! je n’ay pas fain de rire.
Je suis bien pouvre désolée.
CALBAIN, en chantant.
Et voila le tour de la maumariée !
Toutes les nuictz il m’y recorde.

v. 88-106
Le Pâté et la Tarte *** *

Un coquin vient mendier auprès du pâtissier. Il n’obtient rien mais entend à la volée : la femme du pâtissier fera apporter le pâté par un messager qui aura l’enseigne suivante : il prendra le doigt de la femme dans sa main. Le coquin raconte ça à son compère.


Comme la plupart des personnages de farces, les misérables ne sont ni totalement bons, ni totalement mauvais : touchants par leurs souffrance, la faim, le froid, drôles par leur ruse (ils rappellent volontiers Rutebeuf et Villon), mais méritant bien les coups qu’ils prennent par leur fausseté. Les mendiants sont ici appelés coquins, « compaignons » dans la tromperie d’autres citoyens, ils seront tels entre eux. Il n’y a pas d’amitié vraie outre dans la misère quand les membres de la société se trompent entre eux.

LE SECOND COQUIN.
A ! faulx trahistre deloyaux,
Tu m’as bien fait aller meurdryr !
LE PREMIER.
Et ne devais-tu point partir
Aussi bien au mal comme au bien ?
Qu’en dy-tu, hé ! belitrien ?
J’en ay eu sept foys plus que ty. […]
Cé-tu point bien que on dit qu’en fin
Le compaignon n’est point bien fin,
Qui ne trompe son compaignon.

v. 275-285
Maître Mimin étudiant *** *

Ralet et Lubine viennent retirer leur fils des enseignements du Magister, car Mimin ne parle plus que latin même à sa fiancée.


Rappelle tant Les Nuées d’Aristophane (où un vieux envoie son fils apprendre la rhétorique auprès de Socrate pour gagner ses procès mais au lieu de ça, son fils se dresse contre lui), le latin de cuisine des médecins de Molière, que la célèbre scène de Pantagruel où l’ogre réapprend à un étudiant de la Sorbonne à parler français à coups de baffes. C’est une vision de l’éducation comme un formatage qui va laver le cerveau de l’enfant, le détacher de la culture du peuple, de ses origines… le dresser contre sa famille et ses traditions… Non pas critique de l’éducation en tant que telle, ni du professeur, mais critique de l’instruction latiniste, grammairienne et religieuse – critiques contextualisées qu’on entend parfaitement aujourd’hui – critique d’une instruction figée et éloignée du monde quotidien, critique de l’appropriation de l’instruction par des institutions qui ne s’occupent plus de l’utilité réelle de ce qu’ils enseignent, savoirs qui n’ont d’utilité que dans cette institution… Ce qui qui annonce bien la critique des institutions d’Ivan Illich et notamment son pamphlet Une société sans école.

LUBINE.
Parleras-tu françoys jamais ?
Au moins dy un mot, joletru.
LA FIANCÉE.
Le magister n’en peut mais ;
Il a fait le mieux qu’il a peu.
LUBINE.
Au moins baise la, entens-tu ?
Tant tu sçais peu d’honneur !
MAISTRE MYMIN la baise.
Baisas.
Couchaverunt a neuchias,
Maistre Minimus anuitus,
Sa fama tantost maritus,
Facere petit enfant[c]hon.
RAULET.
Le gibet y ayt part au laton !
Magister, que veult-il dire ?
LE MAGISTER.
C’est une fantaisie pour rire :
Ces motz sentent un peu la chair.
RAOUL MACHUE.
Et dit ?
LE MAGISTER.
Qu’il vouldroit bien coucher
Avecq la fille, en un lit,
Comme fait un homme la nuict
Premiere, et estre, Dieu devant,
Avecq sa femme.
RAULET.
Quel galand !
LUBINE.
Il a le cueur à la cuysine.

v. 213-232
Jenin, fils de rien *** *

Jenin interroge sa mère pour savoir si son père est bien le prêtre tel que celui-ci le prétend. Celle-ci nie absolument, il n’y avait sur le lit le jour de sa conception qu’une jaquette…


Derrière la belle parodie de l’Immaculée Conception (on est pas loin ici des textes carnavalesques de Dario Fo, on pourrait imaginer Jésus posant les mêmes questions insistantes à sa mère…), une réalité évidente mais toujours méconnue et taboue : en dépit du vœu de célibat (non-mariage), les hommes d’église ont toujours eu une vie sexuelle (dont témoignent les illustrations célèbres des bordels-monastères, les textes satiriques comme Le Roman de Renart, ou encore le récent scandale sur le tabou de l’homosexualité dans la hiérarchie ecclésiastique – où tout le monde se fait chanter), et en conséquence nombre d’enfants naturels, jamais reconnus (nombre aussi d’amours contrariées). Le refus de la vérité aboutit parfois à une absurdité tellement énorme que c’est encore plus criant qu’un aveu.

JENIN.
Qui estoit donc en vostre lict
Couché avec vous quant (je) fus faict ?
Je seroys donques umparfaict,
Se quelque ung ne m’eust engendré.
Dictes moy comment j’entendray
Que soyes filz de vous seullement.
LA MERE.
Jenin, je te diray comment :
Une foys je m’estoys couchée
Dessus mon lict toute chaulsée.
Mais je sçays bien, en bonne foy,
Qu’il n’y avoit ame que moy.
JENIN.
Comment doncques fus-je conceu ?
LA MERE.
Je ne sçaiy, car je n’apperceu,
Affin que plus tu n’en caquette,
Entour moy fors une jacquette
Estant sur moy et ung pourpoint.
JENIN.
Tant vecy ung merveilleux point,
Que je suis filz d’une jacquette !
Sur ma foy, je ne le croys point,
Tant vecy ung merveilleux point.
Vrayment, se seroit mal appoint
Que la chose fust ainsi faicte.
Tant vecy ung merveilleux point,
Que je suis filz d’une jacquette !

v. 44-69
Le badin qui se loue *** *

Un badin arrive au bon moment, lorsqu’une bourgeoise réclame à son mari un valet pour s’occuper du ménage. Il est embauché mais il commence à avoir quelques exigences. Lorsque la femme reçoit son amoureux, il se montre bien encombrant…


Moquerie du bourgeois. Mais le badin est aussi une incarnation du jongleur, cet homme venu du peuple, s’amusant aux dépends des personnes riches ou importantes, se jouant de leurs vices, pour venger le peuple, les exploiter à son tour (tout comme le paysan de La Naissance du jongleur). Cette farce de l’employé très envahissant sera reprise par Fernand Beissier dans son Guignol domestique.

L’AMOUREUX
Mais dictes moy, je vous en prie,
Qui vous a ainsi bien garnye
De ce bon serviteur icy ?
LA FEMME
Moy mesmes certes, mon amy,
Pource que beaucoup de faschoit
Que toujours aller me falloit
Au vin et aux autres prochas,
Quant venez pour faire le cas
Avec moy.
[…]
LE BADIN.
Ce bonnet vous est bien ceant,
Voyre, ou le dyable vous emport !
L’AMOUREUX.
Par mon serment, vous avez tort ;
Ne vous sçauriez-vous un peu taire ?
LA FEMME.
Tu gastes tout le mystere.
Je te prie, ne nous dy plus mot.
LE BADIN.
Non feray-je, par sainct Charlot ;
Croyez-moy, puis que j’en jure.

v. 149-171
Un amoureux ****

Pendant que Roger le grossier s’en va acheter un chaudron, Alison sa femme reçoit son amoureux. Ils se déshabillent et sortent une belle bouteille de vin. Mais voilà que Roger cogne à la porte, il a oublié son argent…


Motif hilarant et souvent repris du breuvage d’urine (dans Le Médecin volant de Molière). La farce réconcilie mari et femme dans leur discorde même. Le grossier mari se console de sa femme légère en buvant à son gré et en pouvant la traiter de tous les noms. La femme compense son mari insupportable et depuis longtemps inopérant par un amoureux, sans nom, aussi médiocre qu’un autre, juste bon à mettre un peu de fantaisie, là où le couple ne la trouve plus. Il ne reste plus à chacun que d’accepter ce nouvel équilibre. On est par ailleurs dans une parodie des noces de cana où l’urine se transforme en vin…

Quoy ! ma femme pisse-elle ainsi ?
Foy que je doys au roy divin,
Ce pissat a tel goust de vin.
C’est vin ! Cecy m’est bien propice.
Puis que son con telle chose pisse,
Pour moy grand dommage seroit :
Sans mon retour elle mourroit.
Il m’en fault encore taster ;
Je veulx la bouteille es[g]outer
Pour sçavoir se plus rien n’y a.
C’est droit gloria filia
Pour laver ses dens ! Alison,
Mais que je soye en noz maison,
Puis que pissez telle urinée,
Je veulx, chacune matinée,
Moymesmes vuider voz bassin.

v. 174-189
Le Ramoneur de cheminées *** *

Le vieux ramoneur se lamente de ne plus avoir de succès face à la concurrence auprès des jeunes femmes qui ne viennent plus le mander. Las de chercher inutilement du travail, il rentre avec son apprenti auprès de sa femme.


Repose sur le jeu du double langage (qui passe difficilement la traduction et nécessite donc plusieurs lectures) et sur la métaphore toujours plus filée de l’ouvrier-ramoneur de femmes, ayant perdu sa vigueur avec les années, et son envie de travailler. L’apprenti prendra bien sûr le relai…

LE VARLET.
J’ay veu que, quant vous aviez grace
De bien ramonner, vostre tache
Estoit bien d’ung aultre plumaige.
[…]
LE RAMONNEUR
A ! tu dis vray ; je faisoye raige,
Quant premierement tu me veis.
LE VARLET.
Gens qui sont ainsi massis
Comme gros prieurs ou gras moynes,
Ne furent jamais gueres idoynes
De bien cheminées housser.
LE RAMONNEUR
Pourquoy ?
LE VARLET
Ilz ne font que pousser
Et sont pesans comme une enclume.
Et vous ensuyvez la coustume,
Car vous estes gras comme lart.

v. 17-34
Le Meunier dont le diable emporte l’âme en enfer, par André de la Vigne *** *

Moribond, sa femme se venge de tout ce dont il l’a empêchée. Elle le bat et reçoit son amant le curé. Tandis qu’en Enfer, Lucifer envoie Bérith récolter une mauvaise âme…


Représenté en 1496 en accompagnement du plus sérieux Mystère de saint-Martin et une version de La Moralité de l’aveugle et du boiteux (reprise par Dario Fo). On a bien là un exemple typique de la farce comme version satirique des spectacles religieux. Alors que d’un côté on va célébrer la vertu d’un saint avec tous les honneurs, la farce pointe du doigt une personnalité qui, à l’opposé, mérite toute la colère.
La vengeance est dure mais peut-être à peine à la hauteur de l’affront. Le meunier aurait-il oublié, durant toute leur vie de mariage, qu’il pourrait peut-être un jour avoir besoin de l’assistance de sa femme (à l’envers de la farce du Cuvier) ? Si le curé-amant accepte sa confession, son âme est si sale qu’elle ne sera même pas acceptée dans les Enfers ! Le meunier est aussi celui qui faisait de l’argent sur le dos des pauvres affamés. C’est l’exemple même de celui qui ne respecte pas l’interdépendance des gens du peuple et profite de la faiblesse de son entourage pour se faire une vie de privilégié.

MUNIER
Or çà doncques, vaille que vaille,
Quoy qu’à la mort fort je travaille,
Mon cas vous sera relaté.
Jamais je ne fus en bataille ;
Mais pour boire en une boutaille,
J’ay tousjours le mestier hanté.
Aussi, fust d’iver, fust d’esté,
J’ay bons champions frequenté,
Et gourmetz de fine vinée ;
Tant que, rabattu et conté,
Quelque chose qu’il m’ait costé,
J’ay bien ma face enluminée.
Appès, tout le long de l’année,
J’ay ma volunté ordonnée,
Comme sçavez, à mon moulin,
Où, plus que nul de mere née,
J’ay souvent la trousse donnée
A Gaultier, Guillaume ou Colin.
Et en sacs de chanvre ou de lin,
De bled valent plus d’un carlin,
Pour la doubte des adventures,
Atout ung petit picotin,
Je pris de soir et de matin
Tousjours d’un sac doubles moustures.
De cela fis mes nourritures
Et rabatis mes grans coustures,
Quoy qu’il soit, faisant bonne myne,
Somme, de toutes creatures.
Pour supporter mes forfaictures,
Tout m’estoit bon, bran et faryne.

CURÉ.
Celuy qui ès haulx [cieulx] domine
Et qui les mondains enlumyne,
Vous en doint pardon par sa grace !

v. 396-426
Le Bateleur *** *

Farce joyeuse à cinq personnages.
Arrive sur scène avec son valet et commence chansons et petits jeux théâtraux pour attirer les curieux. Il envoie chercher sa femme Binette qui arrive avec la malle. À la vente, de nombreux portraits de Bateleurs célèbres.


Hommage à la profession, mise en abyme du métier. Le bateleur est un autre nom du jongleur. Animer, vendre, faire des cabrioles et des blagues, chanter. On sent bien la volonté de montrer au public les ficelles, de sympathiser par l’autodérision, la transparence… De la même manière que les autres farces donnent à voir le point de vue de l’autre, qu’on se connaisse et se reconnaisse, la troupe va se montrer elle-même : considérez mon travail, il n’est pas si facile, il ne s’agit pas que de faire des pitreries sur des planches ; nous les saltimbanques, les nomades voyageant de ville en ville, ne sommes pas de mauvaises personnes ; payez-nous à la juste pièce du plaisir que nous vous avons donné.
Par ailleurs, cette farce irait plutôt dans le sens d’une entière création des pièces par la troupe (il n’y aurait pas d’écrivain « noble » écrivant le texte prononcé maladroitement par de pauvres incultes). Difficile de l’imaginer avoir une telle préoccupation (et de toute façon, les textes des farces paraissent bien trop peu distingués… et seraient restés figés dans l’état donné par le noble alors qu’ils ont semble-t-il voyagé dans l’histoire). De la même manière que les marionnettistes de Guignol de la fin du XIXe siècle, il n’est pas impossible que les bateleurs et jongleurs aient été forcés de mettre par écrit les textes de leurs pièces, par une demande de contôle des villes où ils allaient jouer pour empêcher les débordements populaires (tels que reconstitués par Dario Fo : – qui voulez-vous crucifier, Jésus de Nazareth ou Jésus Barabbas ? – le maire !).

LE BATELEUR commence en chantant, en tenant son varlet.
Ariere, ariere, ariere, ariere !
Venés la voir mourir, venés.
Petis enfans, mouchés vos nés
Pour faire plus belle manyere.
Ariere, ariere, ariere, ariere !
Voecy le monstre des badins,
Qui n’a ne ventre ne boudins,
Qu’ilz ne soyent subjectz au deriere.
Ariere, ariere, ariere, ariere !
Voicy celuy, sans long fretel,
Qui de badiner ne fut tel :
L’experience en est planiere.
Ariere, ariere, ariere, ariere !
Veoicy celuy qui passe tout :
Sus, faictes le sault ! hault, deboult !
Le demy tour, le souple sault !
Le faict, le defaict ! Sus, j’ay chault,
J’ey froid ! Est-il pas bien apris ?
En efect nous aurons le pris
De badinage, somme toute.

v. 1-20
Les Gens nouveaux *** *

Farce nouvelle moralisée des gens nouveaulx qui mengent le monde et le logent de mal en pire.
Des jeunes se présentent pour agir différemment des anciens, pour changer le monde. Le Monde se méfie, tout les gens finissent par le maltraiter…


Farce et moralité à la fois, le vieux monde bien qu’expérimenté, se laisse prendre à nouveau par la promesse de la jeunesse… A-t-il seulement d’autre choix que d’espérer l’arrivée d’un homme miracle, d’un nouveau prophète ? Ce vieux monde qui est le peuple, bien qu’expérimenté, se laisse toujours berner par les belles promesses d’un nouveau jeune prince éclairé… Naïf ou trop faible ? Il espère toujours après un homme fort, veut croire à un nouveau prophète. L’argument rejoint les thèses de La Servitude volontaire de La Boétie : le tyran ne peut exercer son emprise que parce que de nombreuses personnes y trouvent certains conforts, notamment ici celui de ne pas exercer le pouvoir soi-même (démocratiquement donc).
Les populations ne doivent pas attendre leur bonheur d’un nouveau maître un peu moins tyrannique que le précédent. Ils doivent en arriver à se diriger eux-mêmes, à s’organiser.
Le Monde apparaît ici comme un être faible, peureux et désabusé. Il semblerait que tout l’univers de la farce vise à retrouver l’entente populaire. Un peuple soudé est une population qui dirige de fait et ne laisse plus de place à un seigneur-tyran, comme c’est le cas dans certaines cités du moyen-âge (tel que le décrit par exemple Kropotkine dans L’Entraide), ou bien dans les communautés de campagnes (comme dans Les Bons Dieux, de Jean Anglade).

LE MONDE.
Dieu ! tant de gens m’ont gouverné
Depuis l’heure que je fus né !
En moy ne vis point d’asseurance ;
J’ay esté tousjours en balance.
Encores suis-je pour ceste heure.
Le peuple trancille et labeure,
Et est de tous costez pillé.
Quant labeur est bien tranquillé,
Il vient ung tas de truandailles,
Qui prennent moutons et poulailles.
Marchandise ne les marchans
N’osent plus aller sur les champs.
Et chascun dessus moy se fonde,
En disant : mauldit soit le monde !
J’en ay pour retribution
Du peuple malediction.
LE PREMIER [nouveau].
Vous gouverne-on de tel sorte ?
Qui faict cela ?
LE MONDE.
Gens envieux,
Qui sont de guerre curieux
Et vivent toujours en murmure,
Et jamais de paix n’eurent cure.
Ceulx là ont mon gouvernement,
Sans sçavoir pourquoy ne comment,
Ne à quelle fin ils pretendent.
Et [je] ne sçay qu’ilz deviendront.
Je cuide qu’ilz me mengeront,
Si Dieu de brief n’y remedie.

v. 149-177
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Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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