
L’intime est le lieu d’un combat politique.
Goldmann (Emma) 1932, L’Épopée d’une anarchiste (New York 1886 – Moscou 1920), éditions Complexe, Hachette, 1979.
Morceaux choisis de l’autobiographie d’Emma Goldmann (Living my Life). Traduits de l’anglais américain par Cathy Bernheim et Annette Lévy-Willard.
Résumé
Après un mariage décevant, Emma arrive à New York et frappe à la porte d’un anarchiste entendu à d’une conférence… Le procès des anarchistes tenus responsables du massacre de Haymarket Square à Chicago le 4 mai 1886, anime les cercles anarchistes. Emma détonne par sa jeunesse, sa fougue et ses lectures, elle rencontre vite des personnalités influentes comme Johann Most, orateur charismatique qui tient une revue et la pousse à ses premières prises de parole.
Sasha, militant exemplaire, devient son amant. Ils choisissent de vivre en petite communauté avec d’autres camarades dont Fedya l’artiste qui devient également son amant. En revanche, elle rompt avec Most qui veut en faire sa femme exclusive. Elle refuse une opération qui rendrait possible un enfantement…
En 1892, Sasha est condamné à vingt-et-une années de prison pour un attentat manqué visant à venger les manifestants massacrés à Homestead. Emma s’engage, ses conférences sont de plus en plus virulentes, lui valent ses premiers procès et passage en prison. Elle devient Emma la Rouge, la rebelle enragée.
Tour à tour couturière, infirmière pour pauvres et prostituées, sage-femme diplômée après des études à Vienne où s’intéresse aux cours de Freud. Voyage à Londres et Paris, où elle rencontre des personnalités du mouvement anarchiste comme Kropotkine, Malatesta, Louise Michel…
En 1906, Sasha est libéré mais reste profondément traumatisé. Les lois contre l’anarchisme se font de plus en plus dures. En 1916, exprimant leur opposition à la guerre, Emma et Sasha sont incarcérés, puis expulsés vers la Russie nouvellement bolchevique. Là, le décalage de la réalité avec leur idéal, la sévérité extrême du parti contre les voix dissonantes, les plongent dans le doute…
Commentaires
Ce qui marque cette autobiographie, c’est le lien étroit entre politique et intime. Si il y a là quelque chose de féministe, c’est surtout l’une des caractéristiques essentielles de l’anarchisme (l’engagement politique implique un mode de vie et un mode de relation aux autres et à soi-même). La chose chez Emma Goldman semble innée et viscérale, telle une Rimbaud de l’anarchisme (celui-ci ayant d’ailleurs une sensibilité anarchiste, cf. Lettre aux voyants et ses rapports avec la Commune). Pas une décision concernant ses amours, son divorce, son logement, son travail, son refus d’être opérée pour avoir des enfants, qui ne soit déterminée politiquement, par une réflexion sur ce qu’est être anarchiste. L’amour libre ne vient pas d’une espèce d’hédonisme, se justifiant parce que les choses sont arrivées ainsi et devraient alors être acceptées, mais parce que c’est combattre en soi l’envie de posséder, l’exclusivité, le sentiment destructeur de la jalousie (selon Alexander « Sasha » Berkman), ou inversement la tentation de se laisser posséder, de se laisser diriger (et Johann Most, par son charisme, son style de gentleman, son leadership, propose cette tentation à Emma)… Il s’agit d’accepter la diversité et la richesse de l’autre – un autre plein et émancipé -, son instabilité, la quasi impossibilité de l’entourer entièrement de ses bras seuls, pour la vie. Fedya répond à un besoin existentiel d’Emma, auquel Sasha ne peut répondre (on pourrait ici faire le lien avec la comique interprétation d’Amadou Hampâté Bâ de la polygamie traditionnelle, cf. Contes initiatiques peuls).
En même temps, les combats politiques relèvent de l’intime : soutien et vengeance des camarades en lutte, malthusianisme pour libérer le corps des femmes, liberté d’expression pour exprimer son mécontentement, refus de donner son corps à la boucherie guerrière… Pour un anarchiste (comme par exemple chez Murray Bookchin), la lutte contre l’autoritarisme politique, l’exploitation des ouvriers, les inégalités de classe, le racisme, le sexisme… commence par le refus de toute domination ou emprise à l’échelle de l’intime : dans la famille, dans la relation amoureuse, dans la communauté… L’action politique devient ainsi le prolongement de l’émancipation personnelle. C’est cette libération de l’individu qui lui permet de participer pleinement et activement à la vie sociale et politique (de manière similaire chez les Épicuriens, libérer l’individu dans son esprit – le point le plus intime – de la peur de la mort et des superstitions est le premier mouvement permettant une nouvelle sagesse politique). Le caractère entier et radical de la Rouge fait toute sa légende (cette scène phénoménale où Emma monte sur scène et fouette au visage Johann Most qui a médit par jalousie de l’action terroriste de Sasha). Son récit fait justement tout ce parcours de l’échelle de soi à l’échelle collective : se révolte d’abord contre l’autorité violente du père, puis contre les injonctions de sa famille et de sa communauté juive, puis contre l’exploitation par le travail, contre l’emprisonnement de l’amour et de l’enfantement, contre la formalisation de parti, les privilèges de la célébrité…
Les récits moscovites nous introduisent d’une manière assez étrange dans cette révolution bolchevique. Les convictions d’Emma et de Sasha, militants infatigables de l’émancipation, se trouvent bousculées dans un environnement politique inversé (presque un Carnaval) où les dirigeants se veulent accueillants, familiers, défenseurs des mêmes idées… tout en maintenant une même violence d’autorité d’État au nom de la lutte contre l’opposant contre-révolutionnaire tsariste ou bourgeois (rappelant la Terreur révolutionnaire…). Plongée dans un monde absurde, société de contrôle extrême et de licence totale, où la suppression du marché aboutit au trafic, à l’accaparement, à la misère, où la bureaucratie égalitariste aboutit aux privilèges, où d’anciens militants dévoués banquettent comme des tsars et siègent au Kremlin. Emma et Sasha flottent dans une illusion, protégés par quelques figures importantes, non intégrés dans le tissu social de la réalité, dans un véritable réseau anarchiste comme celui dans lequel ils évoluaient en Amérique.
Il est évident qu’avec l’envie d’y croire et d’être indulgent avec ce début de révolution, l’arrivée au pouvoir d’intellectuels ayant passé leur vie à militer, le machiavélisme de Lénine et la Terreur de la révolution permanente du commissaire à la défense Trotski-Robespierre ont pu perturber et continuent même de voiler la perception et l’évaluation du régime bolchevique des premières années avant le fascisme plus grossier de Staline. Mais, si l’on pourrait être d’accord avec Lénine pour dire que le peuple russe n’était pas prêt à une révolution, il apparaît dans ce témoignage (certes rétrospectif) que les Bolcheviks étaient en réalité profondément incompétents en matière de gouvernement et de gestion d’un pays, et que au lieu de déléguer, de décentraliser, ils ont, pour pouvoir exercer le pouvoir et se protéger de l’extérieur, et peut-être pour pouvoir en jouir, utilisé les exacts mêmes moyens que les régimes tsariste ou monarchique : hiérarchisation, centralisation, discipline militaire, limitation des libertés, écrasement des manifestations et voix dissidentes, justice militaire expéditive… Destruction totale de l’individu dans sa richesse. Or ce sont justement ces éléments-là qu’un anarchiste tel Emma Goldman rejette.
Passages retenus
Amour et politique, p. 36
Le meeting touchait à sa fin. Nous nous acheminions vers la sortie, Sasha et moi. Je ne parvenais pas à articuler un seul mot ; nous marchions en silence. Comme nous arrivions devant la maison, mon corps fut secoué de fièvre. Un élan insurmontable me traversa, le désir inexprimable de me donner à Sasha, de me libérer dans ses bras de la tension terrifiante de cette soirée.
Mon petit lit abritait maintenant deux corps serrés l’un contre l’autre. Ma chambre ne me paraissait plus sombre, mais baignée d’une chaude et apaisante lumière venue d’on ne sait où. Comme dans un rêve, des mots tendres murmurés à mon oreille me rappelaient les douces et belles comptines russes de mon enfance. Le vertige me prit et mes pensées s’embrouillèrent.
Le meeting… Shevitch me hisse sur l’estrade… le visage froid d’Hellen von Dönniges… Johann Most… l’extraordinaire puissance de sa parole, ses appels à l’extermination – j’ai déjà entendu tout cela quelque part… ah oui, Maman, les nihilistes ! – à nouveau, submergée par l’horreur que m’avait inspiré sa cruauté. Pourtant, ce n’était pas une idéaliste ! Most, lui, est un idéaliste et il appelle à l’extermination ! Les idéalistes peuvent-ils être cruels ? Les ennemis de la vie, de la joie et de la beauté. Ils sont implacables, ils ont tué nos merveilleux camarades. Mais faut-il qu’à notre tour nous les exterminions ?
Je fus tirée de mon demi-rêve comme par une décharge électrique. Je sentis une main tremblante et timide glisser tendrement sur moi. Affamée d’amour, je la saisis, je saisis mon amour dans une étreinte sauvage qui nous emporta tous les deux. Il y eut encore cette douleur, comme un coup de poignard aiguisé. Mais elle fut atténuée par une passion surgie au fond de moi qui balayait sur son passage tout ce qui en moi avait été nié, refoulé, anesthésié.
Au matin, cette faim, ce désir brûlant ne m’avaient pas quittée. Mon bien-aimé dormait à mes côtés, épuisé et heureux. Je me soulevais et ma tête appuyée sur la main, je contemplais longtemps le visage de ce garçon qui m’avait tour à tour attirée et déplu, qui pouvait être si dur et dont les caresses, pourtant, étaient si tendres. Mon coeur débordait d’amour pour lui – et j’eus la certitude que nos vies étaient liées pour longtemps. Je pressais mes lèvres contre son épaisse chevelure et m’endormis à mon tour.
Amour libre 1, p. 38
Je demandai à Feyda s’il pensait que l’on pouvait aimer deux personnes ou plus en même temps. Il me regarda avec surprise et me répondit qu’il n’en savait rien : il n’avait jamais aimé personne auparavant. Il s’était laissé absorber par son amour pour moi à l’exclusion de tout autre. En tout cas, tant qu’il m’aimait, il ne pouvait penser à aucune autre femme. Puis il ajouta qu’à son avis, Sasha ne voudrait jamais me partager : son sens de la propriété était bien trop aigu !
L’idée d’être partagée me déplut fortement. J’insistai sur le fait qu’on ne peut donner à l’autre que ce qu’il éveille en vous. Pour moi, Sasha n’était pas un être possessif. Quand on a un tel désir de liberté et qu’on s’en fait l’avocat avec une si grande passion, on peut difficilement refuser à quelqu’un le droit de se donner à qui bon lui semble. Il fut alors décidé que, quoi qu’il arrive, nous n’en éprouverions aucune déception. Nous irions voir Sasha pour lui parler franchement de nos sentiments et il comprendrait.
Amour libre 2, p. 50
Feyda et moi étions devenus amants. Il m’était apparu comme une évidence que mes sentiments vis-à-vis de lui n’affectaient en rien mon amour pour Sasha. Chacun d’eux éveillaient en moi des émotions distinctes, m’entraînait dans des mondes différents qui, loin d’entrer en conflit, se complétaient.
Je mis Sasha au courant de mon amour pour Fedya : sa réaction fut encore plus généreuse et plus belle que je ne l’avais espéré. « Je crois que tu as le droit d’aimer librement », répondit-il. Il se savait possessif et se détestait lorsqu’il était ainsi, comme il détestait toute trace de son passé bourgeois. Peut-être eût-il été jaloux si Fedya n’avait pas été son ami : il se savait très capable de jalousie. Et Fedya n’était pas seulement un ami, c’était aussi un camarade de combat ; quant à moi, je n’étais pas seulement une femme pour lui. La révolutionnaire et la combattante lui étaient encore plus chères.
Décision intime et politique, pp. 48-50
Arrivée en Amérique, je parlai de mes douleurs à Solotaroff qui m’emmena consulter un spécialiste. Celui-ci parut surpris que j’ai pu les endurer si longtemps, et avoir le moindre rapport physique. Mes amis me traduisirent ce que disait le médecin : seule une opération pouvait me permettre de me débarrasser de ces douleurs et d’avoir des rapports sexuels satisfaisants.
Solotaroff me demanda si je désirais avoir un enfant. « Parce que, expliqua-t-il, tu pourras avoir des enfants seulement si tu te fais opérer. Jusqu’à présent, ta conformation ne te le permet pas. »
Un enfant ! J’avais toujours aimé follement les enfants. J’aimais passionnément les bébés, et voilà qu’il me devenait possible d’en avoir un, de vivre l’expérience merveilleuse et mystérieuse de la maternité ! C’était un rêve magnifique !
Mais soudain mon coeur se serra, comme saisi par une main de fer. Je revis ma sinistre enfance, ma faim de tendresse que Maman avait été incapable de rassasier et la dureté de mon père vis-à-vis de ses enfants, ses explosions de violence, les coups qu’il nous donnait à mes sœurs et à moi. Aussi loin que je m’en souvienne je l’avais toujours entendu dire qu’il ne m’avait pas désirée. Il voulait un garçon et sa femme, cette truie, l’avait trahi. Je pensais souvent : peut-être que si je tombe malade, il va devenir gentil et cesser de me battre, ou de me mettre au coin pendant des heures, ou de me faire faire les cent pas un verre d’eau à la main, en me menaçant : « Si tu en renverses une seule goutte, tu recevras le fouet. » Le fouet et le tabouret étaient toujours à sa portée – symboles de ma honte et de ma tragédie. Il m’avait fallu bon nombre d’essais et de sérieuses punitions pour apprendre à transporter le verre sans renverser l’eau. L’opération me rendait si nerveuse que j’en étais malade des heures après l’avoir accomplie.
Mon père était un bel homme fringant et plein de vitalité. J’éprouvais de l’amour pour lui, même quand il me faisait peur. Je voulais être aimée de lui mais je ne découvris jamais comment atteindre son coeur. Quant à sa dureté, elle ne réussissait qu’à une seul chose : me rendre plus obstinée.
Puis cet amour et les élans que j’éprouvais pour lui tournèrent à la haine. Je finis par l’éviter, et ne llui parlais plus que pour répondre à ses questions. Je lui obéissais de façon mécanique, et le fossé ne fit que se creuser entre nous au fil des ans. La maison m’était devenue une prison. Chaque fois que j’essayais d’en partir mon père me rattrapait et me remettait dans les chaînes qu’il avait forgées pour moi. De Saint-Pétersbourg à l’Amérique, de Rochester à mon mariage, je n’avais cessé de tenter d’y échapper. Enfin, l’ultime tentative, réussie cette fois, avait eu lieu lorsque j’avais quitté Rochester pour New York.
Ce jour-là, Maman ne se sentait pas très bien et j’étais venue l’aider à mettre sa maison en ordre. J’étais à quatre pattes en train de brosser le plancher, écoutant mon père me reprocher d’avoir épousé Kershner, de l’avoir quitté puis de lui être revenue. Il ne faisait que répéter : « Tu as toujours été un être faible, la honte de la famille. » Il parlait, et moi je continuais à frotter.
Soudain, quelque chose se déchira en moi. Je lui jetai à la figure tout ce que j’avais sur le coeur : mon enfance solitaire et désolée, mon adolescence tourmentée, ma jeunesse sans joie. Mes accusations le laissèrent sans voix : je soulignais chaque reproche d’un coup de brosse rageur, versant à mon réquisitoire le plus petit incident, la moindre cruauté dont il avait émaillé mon existence. Tout ce qui avait hanté mes joues et mes nuits en me plongeant dans la terreur ressurgissait en moi : je lui rappelai avec amertume notre maison où sa colère résonnait comme dans un hangar, la façon dont il traitait les domestiques, et ma mère, qu’il tenait dans sa poigne de fer. Si je n’étais pas devenue la traînée qu’il m’accusait d’être à tout moment, ce n’était certainement pas grâce à lui. Plus d’une fois, j’avais failli me retrouver sur le trottoir, et je n’avais dû ma sauvegarde qu’à l’amour et au dévouement d’Helena.
Mes paroles jaillissaient comme l’eau d’un torrent, la brosse ponctuait le sol de toute la haine et de tout le mépris que j’éprouvais pour mon père. L’horrible scène s’acheva sur mes cris hystériques. Mes frères m’emportèrent et me mirent au lit. Le lendemain matin, de quittai la maison. Je ne revis pas mon père avant mon départ pour New York.
J’avais appris depuis que mon enfance tragique n’avait rien d’exceptionnel : c’était celle de milliers d’enfants nés sans être désirés, une enfance gâchée et mutilée par la pauvreté, et plus encore, par l’ignorance et l’incompréhension. Je n’allais pas ajouter un enfant au nombre de ces malheureuses victimes.
Mais j’avais aussi une autre raison : l’idéal que je venais de rencontrer m’absorbait de plus en plus. J’étais déterminée à me mettre entièrement à son service. Pour remplir cette mission, il fallait se défaire de tout lien et de toute entrave. Ces années de douleur, ce désir inassouvi d’enfant, qu’était-ce donc en comparaison du prix payé par tant de martyrs. Moi aussi, j’avais un prix à payer, une souffrance à endurer. Et mon amour maternel, je l’assouvirais avec tous les enfants. Il n’y eut pas d’opération.
Tableau de l’anarchisme français en 1900, p. 121
La France est le berceau de l’anarchie. C’est à ses fils les plus brillants que nous en devons la paternité, notamment au plus grand de tous, Proudhon. Ils ont livré pour leur idéal une bataille exténuante, ont encouru les persécutions, l’emprisonnement, parfois au prix de leur propre vie. Pas en vain. Grâce à eux, l’anarchie est devenu en France un facteur social avec lequel il faut compter. Et si en cette année 1900, la bourgeoisie française craignait et persécutait toujours l’anarchie, elle le faisait différemment des Américains. J’ai eu l’occasion d’assister à la répression brutale de certaines manifestations par la police française, ainsi qu’à des procès politiques devant les tribunaux français : les méthodes d’approche du phénomène anarchiste sont différentes. C’est la différence même qu’il peut y avoir entre un peuple sans cesse secoué par la tradition révolutionnaire et un peuple qui commence à peine à lutter pour une indépendance minimale. Celle-ci est sensible partout en France, et même dans les rangs anarchistes. Dans tous les groupes que j’ai pu fréquenter, je n’ai jamais rencontré un seul camarade qui utilise le mot « philosophie » pour masquer ses convictions anarchistes comme le font les Américains, croyant sans doute que cela fait plus respectable.
Pelloutier était en train d’insuffler un renouveau du mouvement syndicaliste révolutionnaire et les forces anarchistes s’y infiltraient. Dans les organisations ouvrières, la presque totalité des leaders étaient anarchistes. Les nouvelles tendances en matière d’éducation, représentées par l’Université populaire, reposaient presque entièrement sur des anarchistes qui avaient réussi à obtenir le soutien et la coopération d’universitaires dans tous les domaines, et organisaient des cours du soir dans toutes les disciplines scientifiques. Des classes entières d’ouvriers y assistaient. Les arts n’étaient pas pour autant oubliés. Zola, Richepin, Mirbeau et Brieux appartenaient à la littérature anarchiste au même titre que Kropotkine, ainsi d’ailleurs que les pièces magnifiques qui étaient à l’affiche du théâtre Antoine. Et les révolutionnaires semblaient mieux apprécier Meunier, Rodin et Steinlen que les bourgeois, qui pourtant se disent amateurs d’art. Visiter les groupes anarchistes, observer leurs efforts et l’avancement de nos idées en terre française était une véritable leçon pour moi.
Éducation, p. 124
[Paul Robin] était, me dit Victor, un des grands libertaires de l’éducation. Il avait acheté un vaste domaine, qui d’ailleurs n’était pas dans ses moyens, et y avait établi une école pour les déshérités. L’endroit s’appelait Sempuis. Robin avait ramassé dans les rues les enfants abandonnés, ainsi que les orphelins des asiles et les enfants prétendument « difficiles ». « Tu devrais les voir maintenant ! L’école de Robin est un exemple vivant de ce que l’éducation peu faire quand elle est basée sur la compréhension et l’amour de l’enfant. »