
L’injustice n’est pas une excuse pour faire le mal
Rutebeuf ~1263, Le Miracle de Théophile [in Oeuvres complètes], Garnier classiques, coll. Le Livre de Poche, 2004
édition bilingue, traduction de l’ancien français par Michel Zink
Résumé
Théophile (VIe siècle) a été privé de sa position par son évêque. En colère contre l’injustice qui le frappe, il va trouver Salatin qui le met en contact avec Satan. Il fait un pacte avec le diable pour retrouver sa position et ses biens, en échange de quoi il doit maltraiter les pauvres qui se présentent à son Église. Après sept ans, il fait marche arrière et va implorer la Vierge Marie.
Commentaires
Inspiré de l’ouvrage grec d’un certain Eutychianos et plus directement la version du miracle tirée des Miracles de Notre-Dame de Gauthier de Coinci cinquante ans plus tôt, cette pièce religieuse met en scène Théophile, vidame d’une église de Cilicie (Turquie du sud méditerranéen), mort vers 538. A pu être représentée à la fête de la Nativité de la Vierge, le 8 septembre 1263 ou 1264.
L’important dans cette œuvre n’est pas, contrairement à de nombreux miracles, le thème du repentir qui met peu en valeur les talents poétiques de Rutebeuf, mais plutôt le rejet de Dieu, cette colère de Théophile, cette incompréhension devant le malheur qui le frappe. On retrouve les accents propres à la poésie de Rutebeuf, les complaintes, les griesches… En même temps, cette trajectoire de mauvaise vie, de colère et de repentir peut illustrer celle de Rutebeuf qui se serait convertit et repentit à la même période (on peut voir l’écho de ce repentir dans la « Repentance Rutebeuf »).
Cette injustice qui rend Théophile furieux est une injustice qui touche sa personne, ses biens, mais pas son humanité. Ce n’est pas une réelle injustice, mais bien une épreuve que doit supporter Théophile ou bien une punition pour ses mauvaises actions. Le repentir est donc la compréhension de cette méprise, de cette faute d’orgueil et ainsi l’abaissement devant la Vierge et donc devant Dieu.
Passages retenus
Ahi ! Ahi ! Diex, rois de gloire,
p. 534
Tant vous ai eü en memoire
Tout ai doné et despendu
Et tout ai aus povres tendu :
Ne m’est remez vaillant un sac.
Bien m’a dit li evesque « Eschac ! »
Et m’a rendu maté en l’angle.
Sanz voir m’a lessié tout sangle.
Or m’estuet il morir de fain,
Si je n’envoi ma robe au pain.
Et ma mesnie que fera ?
Ne sai se Diex les pestera…
Diex ? Oïl ! Qu’en a-t-il a fere ?
En autre lieu l’escovient trere,
Ou il me fet l’oreille sorde,
Qu’il n’a cure de ma falorde.
Et je l referai la moe :
Honiz soit qui de lui se loe !
N’est riens c’on por avoir ne face :
Ne pris riens Dieu ne sa manace.
Irao me je noier ou pendre ?
Je ne m’en puis pas a Dieu prendre,
C’on ne puet a lui avenir.
Ha ! Qui or le porroit tenir
Et bien batre a la retornee,
Molt avroit fet bone jornee !
Mes il s’est en si haut leu mis
Por eschiver ses anemis
C’on n’i puet trere ne lancier.
Un avis sur « Regarde ta face : Le Miracle de Théophile, Rutebeuf (théâtre) »