Ramasse tes lettres : Contes de la bécasse (recueil), de Maupassant

Chasse dans le terroir pour le plus beau gibier littéraire

Maupassant (Guy de) 1882-1883 (1883), Contes de la bécasse [in Oeuvres complètes, t. 2], Gallimard, coll. « nrf La Pléiade », 1979

Note : 4.5 sur 5.

Recueils :
– Boule de Suif (1879)
– La Maison Tellier (1881)
Mademoiselle Fifi (1882)
– Contes de la bécasse (1883)
– Clair de Lune (1883)
– Miss Harriet (1884)
– Les Sœurs Rondoli (1884)
– Yvette (1884)
– Contes du jour et de la nuit (1885)
– Monsieur Parent (1886)
– Toine (1886)
– La Petite Roque (1886)
– Le Horla (1887)
– Le Rosier de madame Husson (1888)
– La Main gauche (1889)
– Le Père Milon (1889)

Sommaire

La Bécasse (1882) ***
Ce cochon de Morin (1882) ****
La Folle (1882) ***
Pierrot (1882) ****
Menuet (1882) ****
La Peur (« On remonta sur le pont après dîner. ») (1882) ****
Farce normande (1882) ***
Les Sabots (1883) ****
La Rempailleuse (1882) ****
En mer (1883) ****
Un Normand (1882) ***
Le Testament (1882) ****
Aux champs (1882) ****
Un coq chanta (1882) ***
Un fils (1882) ****
Saint-Antoine (1883) ****
L’Aventure de Walter Schnaffs (1883) ***

La Bécasse *** *

Le vieux baron des Ravots, fanatique de la chasse, est maintenant cloué à son fauteuil. Chaque automne, il invite tous ses amis pour une chasse dans son domaine, et chaque soir, le hasard symbolisé par une tête de bécasse désigne un conteur pour occuper le dîner.

Récit cadre servant d’introduction au recueil Les Contes de la Bécasse. Pour son troisième recueil de nouvelles, Maupassant rappelle par intertexte la grande tradition du genre, les dix nobles ayant fui la peste du Décaméron, Shéhérazade retenant la main féminicide du sultan dans Les Mille et une Nuits. Ici, le cadre ne sera pas rappelé. C’est simplement une entrée en matière stylistique et thématique : la chasse, la campagne, la convivialité, l’oralité… mais aussi un danger imprécis, un certain goût pour le macabre. En même temps, la figure de ce vieux baron amateur de littérature orale, cloué dans un fauteuil mais maître du jeu est assez complexe et originale. Il y a cette persistance de continuer la chasse malgré le handicap, et aussi cette passion par procuration, par la voix des autres convives. On pourrait comparer cet autre cloué en fauteuil célèbre, le Professeur Xavier créé par Stan Lee et Jack Kirby, qui envoie ses mutants (X-Men) chercher et lui ramener des récits d’aventure… C’est d’ailleurs une belle allégorie pour le lecteur lui-même, cloué sur son fauteuil.


p.668 : « Celui des invités que désignait, en s’arrêtant, le long bec pointu, devenait maître de toutes les têtes, régal exquis qui faisait loucher ses voisins.
Il les prenait une à une et les faisait griller sur la chandelle. La graisse crépitait, la peau rissolée fumait, et l’élu du hasard croquait le crâne suiffé en le tenant par le nez et en poussant des exclamations de plaisir. »

Ce cochon de Morin ****

Le mercier Morin s’est attiré un scandale en tentant d’embrasser une fille dans un train. Les MM Rivet et Labarbe, de ses connaissances, vont voir la famille de cette jeune fille pour arranger l’affaire de ce « cochon de Morin ». Mais voilà : Labarbe est pris de la même envie que Morin.

Fondamental pour Maupassant, ce motif du jour de fantaisie qui peut pourrir une existence entière (ce petit grain de sable qui bouleverse tout). Ici, le récit l’entremêle habilement avec la farce d’une aventure érotique ratée qui tourne au drame, en montrant que ce qui arrive à ce pauvre homme rêvant pour une fois des grandes choses, n’arriverait pas à un homme plus rusé, distingué et beau. La débâcle n’est donc réservée qu’aux bougres ? Ici, la femme devient responsable de cette inégalité par sa manière de se refuser ou de se livrer.


p. 641 : « Quinze jours à Paris. Cela vous met le feu dans le sang. Tous les soirs des spectacles, des frôlements de femmes, une continuelle excitation d’esprit. On devient fou. On ne voit plus que danseuses en maillot, actrices décolletées, jambes rondes, épaules grasses, tout cela presque à portée de la main, sans qu’on ose ou qu’on puisse y toucher. C’est à peine si on goûte, une fois ou deux, à quelques mets inférieurs. Et l’on s’en va, le cœur encore tout secoué, l’âme émoustillée, avec une espèce de démangeaison de baisers qui vous chatouillent les lèvres. »

p. 650 : « Alors je poussai doucement le verrou ; et, m’approchant sur la pointe des pieds, je lui dis : « J’ai oublié, mademoiselle, de vous demander quelque chose à lire. » Elle se débattait ; mais j’ouvris bientôt le livre que je cherchais. Je n’en dirai pas le titre. C’était vraiment le plus merveilleux des romans, et le plus divin des poèmes. »

La Folle ***

Pendant la guerre, les Prussiens s’invitaient chez l’habitant. Or une vieille avait perdu toute sa famille et demeurait inerte de douleur depuis quinze ans. Elle énervait beaucoup le commandant par son mutisme.

Cette anecdote révoltante de la guerre, participe à une dénonciation des méfaits commis, donc à une rancœur, plutôt qu’à un dégoût de la guerre. L’image de la folle se laissant mourir et reprendre par la nature est superbe (la folie, absence de raison humaine, n’est-elle pas déjà le symbole de ce retour à la nature ?). L’acte de cruauté envers la folle paraît gratuit mais n’est en rien justifié par le fait qu’il s’agisse de la guerre et des Prussiens. On remarquera au passage qu’il s’agit de se débarrasser de l’individu socialement inutile ou encombrant, exaspérant (comme dans L’Aveugle, Coco, Un Gueux, etc).


p. 669 : « Quand la mort est entrée une fois dans une maison, elle y revient presque toujours immédiatement, comme si elle connaissait la porte. »

p. 670 : « Ils défilaient interminablement, tous pareils, avec ce mouvement de pantins qui leur est particulier. Puis les chefs distribuèrent leurs hommes aux habitants. J’en eus dix-sept. La voisine, la folle, en avait douze, dont un commandant, vrai soudard, violent, bourru »

Pierrot **** *

Mme Lefèvre, dame demi-paysanne avare, après un vol dans son jardin, décide de prendre un chien pour monter la garde. Mais comme elle ne veut pas dépenser un sou, elle obtient un petit chien tout jaune, un peu ridicule, du nom de Pierrot, mais il ne jappe pas après les étrangers.

Ce conte, qui reprend le thème de l’abandon du chien, est particulièrement sombre. Alors que le petit « quin » arrive à plaire et à se faire aimer de la dame sèche et avare, il ne peut cependant empêcher qu’elle ne veuille se débarrasser de lui par refus de payer quelques francs. Décrivant à nouveau l’horrible cruauté de l’homme sur l’animal domestique qui lui tient compagnie (à l’instar de Coco). Maupassant écrit un petit conte particulièrement touchant, révoltant.

p. 572 : « Des drames affreux s’y accomplissent dans l’ombre.
Quand une bête agonise depuis dix à douze jours dans le fond, nourrie par les restes immondes de ses devanciers, un nouvel animal, plus gros, plus vigoureux certainement, est précipité tout à coup. Ils sont là, seuls, affamés, les yeux luisants. Ils se guettent, se suivent, hésitent, anxieux. Mais la faim les presse : ils s’attaquent, luttent longtemps, acharnés ; et le plus fort mange le plus faible, le dévore vivant. »

Menuet ****

Notre conteur qui se promène le matin dans la pépinière du jardin du Luxembourg, fait la connaissance d’un petit vieux, danseur au temps jadis, dansant parfois un menuet parmi les plantes.

Ce conte décrit le sentiment d’un homme devant un spectacle archaïque, une ruine humaine curieusement encore debout. Cette petite émotion simple est furieusement ambigüe, hésitante entre rire de moquerie et pleurs de regrets pour une époque touchante, un vieil homme qui est peut-être déjà un fantôme disparaissant pour l’œil de la vie jeune.


p. 640 : « Et je les regardais, le cœur troublé de sensations extraordinaires, l’âme émue d’une indicible mélancolie. Il me semblait voir une apparition lamentable et comique, l’ombre démodée d’un siècle. J’avais envie de rire et besoin de pleurer. »

La Peur (« On remonta sur le pont après dîner. ») ****

Un voyageur aguerri explique ce qu’est la peur, la vraie, incompréhensible, paralysante. Il l’a connue une fois en Afrique, en plein désert par un concert d’insolation et de tambours incessants, mirages sonores. Il l’a de nouveau rencontrée une nuit chez un forestier qui redoutait à tout instant la vengeance d’un homme qu’il avait tué.

L’analyse du sentiment de peur, affection physique incompréhensible provoquée par l’incapacité des sens à rassurer l’intériorité, est aussi une définition claire du fantastique, cette incertitude terrible qui rend fou : s’est-il produit ou non quelque chose de surnaturel ? Définition que l’auteur respectera toujours jusque dans Le Horla et ses deux interprétations possibles. La figure du voyageur n’est que pur procédé pour introduire l’idée d’une tendance à la peur fantastique à cause de l’« existence d’une source personnelle [de peur] favorisée par la névrose et la hantise de la solitude. » La peur devient atteinte physique de la raison. Cette vulnérabilité psychique, ou dérèglement, qui fait tendre un sujet vers l’élucubration fantastique (ce qu’illustrait déjà Hoffmann dans Le Marchand de sable), Maupassant s’en plaindra bien souvent, symptôme annonçant sa folie ou extra-sensibilité cultivée par la voie littéraire.


p. 601 : « La peur (et les hommes les plus hardis peuvent avoir peur), c’est quelque chose d’effroyable, une sensation atroce, comme une décomposition de l’âme, un spasme affreux de la pensée et du cœur, dont le souvenir seul donne des frissons d’angoisse. Mais cela n’a lieu, quand on est brave, ni devant une attaque, ni devant la mort inévitable, ni devant toutes les formes connues du péril : cela a lieu dans certaines circonstances anormales, sous certaines influences mystérieuses, en face de risques vagues. La vraie peur, c’est quelque chose comme une réminiscence des terreurs fantastiques d’autrefois. »

Farce normande ***

On célèbre un mariage entre un beau chasseur riche fermier, et une fille bien dotée. Mais les amis du marié lui préparent une bonne farce pour sa nuit de noce.

En entremêlant habilement les thèmes de la chasse et des noces, Maupassant montre le caractère simple du fermier de Normandie. La femme comme la nuit de noce sont des trophées de chasse. Les couleurs éclatantes vont avec les émotions simples et franches des gens du pays.


p. 499 : « Toutes les femmes avaient des châles lâchés dans le dos, et dont elles tenaient les bouts sur leurs bras avec cérémonie. Ils étaient rouges, bigarrés, flamboyants, ces châles ; et leur éclat semblait étonner les poules noires sur le fumier, les canards au bord de la mare, et les pigeons sur les toits de chaume.
Tout le vert de la campagne, le vert de l’herbe et des arbres, semblait exaspéré au contact de cette pourpre ardente et les deux couleurs ainsi voisines devenaient aveuglantes sous le feu du soleil de midi. »

p. 501 : « Il la guettait d’un œil luisant, plus sensuel que tendre ; car il la désirait plutôt qu’il ne l’aimait ; et, soudain, d’un mouvement brusque, comme un homme qui va se mettre à l’ouvrage, il enleva son habit. »

Les Sabots ****

M. Césaire Omont, vieux riche, recherche une servante honnête pour l’aider à la besogne à la maison. Il accepte la fille Malandain, grande sotte du nom d’Adelaïde, à condition qu’ils ne mêlent pas leurs sabots. Mais M. Omont aime beaucoup l’eau-de-vie.

Il est amusant de voir cette sorte de mariage arrangé au goût finalement si naturel. Arrangé depuis le début, depuis la bouche du curé jusqu’aux recommandations du père. Seule la jeune fille sotte ne sait pas ce qui l’attend. La métaphore « mêler ses sabots », superbe image illustrant le génie de création verbale instinctif des paysans – dont Remy de Gourmont fera l’éloge dans son essai L’esthétique de la langue française (1899), prônant l’enrichissement de la langue par l’apport populaire contre la langue savante -, illustre aussi la supérieure simplicité des arrangements de la vie chez les simples sur les sophistications des classes intellectuelles…


p. 713 : « Il avait environ cinquante-cinq ans ; il était gros, jovial et bourru comme un homme riche. Il riait et criait à faire tomber les murs, buvait du cidre et de l’eau-de-vie à pleins verres, et passait encore pour chaud, malgré son âge. »

La Rempailleuse ****

Une bohémienne tombe amoureuse d’un petit bourgeois, fils de pharmacien, qui s’est fait volé ses sous. Elle lui donne ses économies et lui achète ainsi un baiser. Elle ne l’a jamais oublié.

Ce récit oppose la passion tragique et bête de la bohémienne à l’attitude intéressée et égoïstement cruelle du bourgeois. La passion pure s’oppose à la rationalité. Ce croisement de deux êtres qui ne se comprennent pas est particulièrement touchant par sa cruelle idiotie, et par le gâchis.


p. 548 : « Que se passe-t-il dans cette misérable tête ? S’est-elle attachée à ce mioche parce qu’elle lui avait sacrifié sa fortune de vagabonde, ou parce qu’elle lui avait donné son premier baiser tendre ? Le mystère est le même pour les petits que pour les grands. »

En mer ****

Lors d’une tempête, le bras du frère cadet du capitaine est pris dans les filets…

Ce fait divers de pêcheurs est l’occasion d’une réflexion sur le sens des priorités pour l’homme. Il permet aussi le travail sur un décor plutôt morbide.


p. 741 : « Javel cadet semblait idiot. On lui retira la vareuse et on vit une chose horrible, une bouillie de chairs dont le sang jaillissait à flots qu’on eût dit poussés par une pompe. Alors l’homme regarda son bras et murmura : « Foutu ».
[…]
Javel cadet se leva, son bras pendait à son côté. Il le prit de l’autre main, le souleva, le tourna, le secoua. Tout était rompu, les os cassés ; les muscles seuls retenaient ce morceau de son corps. »

Un Normand ***

Notre conteur se fait emmené par un ami du pays chez le père Mathieu, près de Rouen. Il y garde une chapelle fréquentée principalement par les filles enceintes ; il y tient aussi un petit commerce de statuettes de Saints faites de sa main afin d’accomplir de petits miracles. Le père Mathieu est aussi un très bon vivant qui tient le compte de son alcoolémie.

Cette petite pièce dépeint la joyeuse innocence du peuple de campagne quant à la religion. On y trouve bien peu de spiritualité, beaucoup d’arrangements avec la tradition et avec le Dieu. Un respect traditionnel plus que spirituel. Car ici, les natures persistent.


p. 577 : « Il a baptisé sa statue merveilleuse : « Notre-Dame du Gros-Ventre », et il la traite avec une certaine familiarité goguenarde qui n’exclut point le respect. Il a composé lui-même et fait imprimer une prière spéciale pour sa bonne vierge. Cette prière est un chef-d’œuvre d’ironie involontaire, d’esprit normand où la raillerie se mêle à la peur du SAINT, à la peur superstitieuse de l’influence secrète de quelque chose. Il ne croit pas beaucoup à sa patronne ; cependant il y croit un peu, par prudence, et il la ménage, par politique. »

Le Testament ****

Une femme un peu timide, mal mariée, peu respectée de son mari, et de ses deux fils aînés, avoue franchement dans son testament qu’elle a eu un amant et que son troisième fils, qui est de cette liaison, sera le seul à hériter.

Ce thème du testament qui révèle un enfant adultérin semble être une première esquisse de Pierre et Jean. Le testament est ici une revanche post-mortem de la femme sur la vie (un peu comme La Reine Hortense), est d’une puissance essentielle et émouvante, qui montre d’ailleurs comme une femme n’a pas à avoir honte de prendre un amant quand son mari est une brute. Encore une fois, comme dans Une vie, c’est la morale sociale qui empêche la femme de vivre heureuse, elle peut donc s’en libérer violemment dès que possible (on devine ici une thèse de Sade, qu’a pu lire Maupassant, notamment La Philosophie dans le boudoir).


p. 621 : « Au bout d’un mois de mariage, il vivait avec une servante. Il eut en outre pour maîtresses les femmes et les filles de ses fermiers ; ce qui ne l’empêcha point d’avoir deux enfants avec sa femme ; on devrait compter trois, en me comprenant. Ma mère ne disait rien ; elle vivait dans cette maison toujours bruyante comme ces petites souris qui glissent sous les meubles. Effacée, disparue, frémissante, elle regardait les gens de ses yeux inquiets et clairs, toujours mobiles, des yeux d’être effaré que la peur ne quitte pas. Elle était jolie pourtant, fort jolie, toute blonde d’un blond gris, d’un blond timide ; comme si ses cheveux avaient été un peu décolorés par ses craintes incessantes. »

Aux champs **** *

Une femme riche vient pour adopter généreusement un enfant de paysan. Une première famille lui refuse fièrement. Mais, c’est moins fier qu’est leur fils quand il croise vingt ans après, le fils du voisin, qui lui, a accepté.

Ce conte illustre la puissance de l’imagination d’un homme quand on lui figure ce qu’il aurait pu être. Dans le non-dit, le non-existant, le hors-là, surgit tout d’un coup un monde désirable. La fierté et l’amour maternel ne peuvent l’emporter devant l’écrasante envie pour un pauvre d’être plus riche, plus à l’aise, mieux.


p. 607 : « Les deux mères distinguaient à peine leurs produits dans le tas ; et les deux pères confondaient tout à fait. Les huit noms dansaient dans leur tête, se mêlaient sans cesse ; et, quand il fallait en appeler un, les hommes souvent en criaient trois avant d’arriver au véritable. »

p. 610 : « Et la jeune femme, radieuse, emporta le marmot hurlant, comme on emporte un bibelot désiré d’un magasin. »

Un coq chanta ***

Mme Berthe d’Avancelles a enfin cédé aux avances du beau baron Joseph de Croissard, au cours d’une grande chasse au sanglier. La nuit, le baron a rejoint Mme Berthe dans sa chambre et l’attend ardemment dans le lit…

Que signifie le profond sommeil du baron ? Est-ce pour dire que c’est de la femme que vient l’erreur de trop faire attendre, elle qui transforme donc l’amant romantique en mari bourgeois par son attachement aux préparatifs pudiques ? Est-ce au contraire pour superposer simplement l’amant au mari, dire qu’ils sont en fait les mêmes ? Est-ce du simple domaine de la farce normande, une légende qu’on se répèterait dans toutes les campagnes avec juste des noms différents ?


p. 480 : « Puis ils tournèrent à droite dans un petit chemin couvert, et soudain, pour éviter une branche qui barrait la route, elle se pencha sur lui, si près qu’il sentit sur son cou le chatouillement des cheveux. Alors brutalement il l’enlaça, et appuyant sur la tempe ses grandes moustaches, il la baisa d’un baiser furieux. »

Un fils ****

Un académicien raconte à son ami sénateur comment, au cours d’un voyage en Bretagne, il a eu une aventure avec une mignonne servante d’une auberge. 30 ans plus tard, de retour dans la région, il apprend que la petite est morte en couche.

Thème de l’enfant sans père, ici même sans mère, à la vie brutale et incivilisée, dont est responsable la légèreté des jeunes hommes. Cette notion de responsabilité de tous les hommes « biens » sur les enfants des rues est poétiquement bien énoncée. Le thème du bâtard, de l’enfant abandonné est d’actualité. On décompte nombre de procès. Cet équilibre entre les « gens de bien » et les « résidus » de leur dévergondage obligé de jeunesse, est particulièrement bien trouvé. En revanche, cette impossibilité de reconnaître un enfant à cause des conventions sociales reste un problème. Et Maupassant vient alors peut-être justement de concevoir un premier enfant, qu’il ne reconnaîtra pas, d’une couturière, pas plus que les deux suivants (bien qu’il est possible qu’il est pourvu, au moins en partie, à leurs besoins).


p. 417 : « Songez en outre que presque toutes les femmes que nous appelons publiques possèdent un ou deux enfants dont elles ignorent le père, enfants attrapés dans le hasard de leurs étreintes à dix ou vingt francs. Dans tout métier on fait la part des profits et pertes. Ces rejetons-là constituent les « pertes » de leur profession. Quels sont les générateurs ? – Vous, – moi, – nous tous, les hommes comme il faut ! Ce sont les résultats de nos joyeux dîners d’amis, de nos soirs de gaieté, de ces heures où notre chair contente nous pousse aux accouplements d’aventure. »

Saint-Antoine ****

Un bon vieux paysan, bien chauvin, costaud et bon vivant, doit prendre sous son toit un soldat de l’armée prussienne. Comme ce dernier ne comprend pas un mot de Français, Antoine le trimbale partout en l’appelant « mon cochon ».

Une telle farce normande, réécriture de l’aventure de Saint Antoine, qui va réclamer son cochon aux démons, se transforme en chronique historique, dont la conclusion est colorée d’injustice et de revanche xénophobe après l’humiliation de 1870. On pourra penser à la jouissance de se venger à travers la fiction sur ceux qui nous ont opprimés, comme par exemple dans Inglorious Basterds de Quentin Tarantino, à la fin duquel une milice juive vide d’infinissables chargeurs de mitraillette sur Adolf Hitler et sa garde rapprochée comme un bouquet final réécrivant l’Histoire.


p. 774 : « Dès lors, le père Antoine ne sortit plus sans son Prussien. Il avait trouvé là son affaire, c’était sa vengeance à lui, sa vengeance de gros malin. Et tout le pays, qui crevait de peur, riait à se tordre derrière le dos des vainqueurs de la farce de Saint-Antoine. […]
Il s’en allait chez les voisins, tous les jours après midi, bras dessus bras dessous avec son Allemand qu’il présentait d’un air gai en lui tapant sur l’épaule : « Tenez, v’là mon cochon, r’gardez-moi s’il engraisse, c’t’animal-là. » »

L’Aventure de Walter Schnaffs ****

Walter Schnaffs est un gros bonhomme prussien en campagne. Il regrette fortement les tendresses de sa blonde et tremble à l’idée de prendre une balle. A la suite d’un assaut de l’ennemi, il se retrouve isolé et affamé. Attiré par une odeur de viande, il arrive à proximité d’un petit château et montre sa tête à la fenêtre de la cuisine.

Maupassant a ici la bonne idée, pour continuer à montrer l’absurdité de la guerre, de placer son récit du côté d’un Prussien, qui, en dehors du nom, pourrait tout à fait être identifié à un paysan Normand. On se moque du Prussien, certes, mais Maupassant est contre la guerre et les paysans prussiens sont des paysans avant tout. Ce rapprochement annonce la position pacifiste de Jean Giono, cet autre écrivain de la terre paysanne, dans sa Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix : la guerre, c’est des paysans qu’on envoie loin de leurs terres pour tuer d’autres paysans…


p. 793 : « Il songeait en outre que tout ce qui est doux dans l’existence disparaît avec la vie ; et il gardait au cœur une haine épouvantable, instinctive et raisonnée en même temps, pour les canons, les fusils, les revolvers et les sabres, mais surtout pour les baïonnettes, se sentant incapable de manœuvrer assez vivement cette arme rapide pour défendre son gros ventre. »

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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