
L’amour peut-il transcender les classes sociales ?
Marivaux 1730, Le Jeu de l’amour et du hasard [Œuvres complètes, t. 1], Duchesne, 1791
Résumé
Silvia refuse de se marier avec un homme qu’elle n’aime pas. Son père voudrait bien la marier avec le fils de son ami d’enfance ; il organise une rencontre entre les deux jeunes promis. Silvia accepte mais à la condition d’échanger sa place avec sa suivante afin de l’observer plus librement. Mais le jeune Dorante a lui aussi la même idée…
Commentaires
On retrouve ici le même type d’inversion des rôles que dans L’Île des esclaves, travestissement et l’imitation satirique propres à la Commedia Dell’Arte. Seulement, ici, la pièce porte sur le thème de l’amour – thème bien plus porteur que la question sociale seule. Le changement des rôles permet de comprendre que la distinction sociale ne repose pas sur l’habit (l’argent, le titre), mais avant tout sur l’éducation (C’était déjà le thème de l’Héritier de campagne). L’humour et le succès de la pièce sont notamment dus au redoublement de l’histoire d’amour, mais inversée, par les domestiques (souvent présente chez Molière). Contrairement aux comédies de Molière, le mariage n’est pas ici empêché par des contretemps ou par un concurrent ; Marivaux pose la reconnaissance du mariage d’amour mais interroge les possibilités de mariage selon les différentes classes. Une éducation semblable est donc plutôt nécessaire, mais comme l’éducation n’est plus obligatoirement un marqueur de classe, se pose la question du mariage hors classe. Le féminisme de la pièce se trouve dans la liberté pour la femme d’accepter ou non un mari. Mais Marivaux ne s’arrête pas là car il pose la question de la supériorité de l’amour sur le rang social. Silvia obtient une preuve d’amour qui transcende les classes sociales puisque Dorante accepte de l’épouser en dépit de son rôle de soubrette.
Tenant toujours quelque chose de la pièce didactique, ce Jeu de l’amour et du hasard complexifie tout de même les personnages et leurs discours : le feu de Dorante et ses hésitations, les petits vices de la suivante pour profiter de la situation et se vanter, Arlequin joue de l’emphase grotesque, enfin Silvia qui montre une force de femme bien neuf alors. Ce « jeu » qui aurait aussi pu faire rater la rencontre annonce peut-être la tragédie d’On ne badine pas avec l’amour de Musset, critique de cette trop grande sophistication des jeux de séduction, qui finit par détruire ou délaisser l’amour même…