
Fantaisie littéraire en guise de portrait
pour l’ami Antoine Paris (seconde version)
novembre 2013.
Librement inspiré par la vie et l’œuvre de M. Antoine Paris alias Tonfa One,
(cf. antoineparis.com ).
Premier essai de portrait : Le retour de l’artiste des cavernes
Nous avons également poétiquement illustré 7 de ses toiles.
On se dit parfois, comme l’on répond hâtivement à « que boit la vache ? – du lait » que la place de l’art est dans les musées. Mais c’est à l’envers : l’art n’arrive dans les musées qu’après avoir bien vécu. Où court l’art dans sa jeunesse ?
Considérons un artiste distingué du nouveau millénaire, dressé d’un smoking-cravate, passant ses journées dans une galerie au trente-quinzième étage d’une surbrillante tour de parfaite concavité, tout en verre. Notre artiste s’y agite en oiseau piaillant au milieu de feuilles pleines de couleurs vives, dans une grande salle vide à dominante de blanc, méditant sa nouvelle pièce d’art anti-bourgeois qui animera les fines conversations d’un large salon lounge.
Observez à présent ce jeune prodige, ingénieux rebelle à jeans troués qui mâche le chewing-gum, avec ses lunettes de soleil, à chaque réveil découvrant en première page de France-soir le récit de la nuit rock & drug passée, annonçant que le making-of de la fresque est déjà sur YouTube, où on l’y voit pissant sur la toile, sous les stroboscopes, en tenue de viking, avec une montre suisse au poignet.

Bien-sûr, il y en a aussi d’autres des artistes… mais moins folichons. Ils ressemblent à monsieur untel. Ils vivent une vie de simple mortel, dans un appartement encombré, au bout d’une ligne de TER. Ils écoutent – ils, car ils essaient de vivre en couple, peut-être même d’avoir une famille, si une année est plus clémente –, ils écoutent, disions-nous, le chant d’un sans-abris mais avec-bouteille, l’haleine heureuse sous leur fenêtre. Chacun ses mondanités. Où peint notre artiste de la vie ordinaire ? Dans la chambre ? qui est aussi le salon et la cuisine ? dans l’escalier quand le chant de Bacchus ou la sirène de police lui inspire une jetée de peinture. Il peint aussi dehors, sur le mur où a pissé le chanteur, un peu plus loin crayonne sur le trottoir où le chanteur s’est avachi ce matin avant d’être chassé par un marchand.
Suivons-le notre artiste de la semaine qui va maintenant au travail, dans le métro, il est tremblotant d’envie de dessiner partout, de redécorer, mais il en a connu des artistes de rame arrêtés-reconvertis en blanchisseurs de surface, alors il pense à comment mettre sur un papier ces têtes effroyables qu’il a autour de lui. Il grossira leur grimace jusqu’à ce qu’elle inspire le rire au lieu de l’effroi. Il leur collera les couleurs qu’il imagine qu’elles contiennent. À ces couleurs correspondent sûrement un vice. Il le dessinera dans son accomplissement.

Retrouvons-le dans une salle, coincé sept heures pour avoir un quoi-manger, il ne peut dessiner car on le surveille, on l’empêche, alors il écrit. Dès qu’on a le dos tourné, il écrit. Il écrit un dessin qu’il a dans la tête. Quand la crampe lui bloque la main, il songe à transformer ses dessins en films de greniers, en ballets de cosmonautes, où s’agiteraient ces heureux ivrognes, ces mendiants près de se fondre au trottoir, ces éternels bien-chaussés mécontents, ces vicieux souriant de voir le mal se répandre, pendant que la mort en arrière-plan, joue au bingo sur leurs têtes.
Son travail vivra jusqu’à la prochaine pluie, jusqu’au prochain rouleau, jusqu’à la prochaine idée, devant un musée, entre les tables pourries d’un atelier de banlieue, sur le mur d’une ferme. La boulangère en discute avec le représentant de commerce qui cherche son chemin. Ce soir là à s’endormir avant minuit, un choux-fleur au bout de la fourchette, demain à l’aéroport marchant comme un lundi six toiles enroulées sous l’aisselle. Il y aura bientôt un tableau de lui dans la galerie d’une grande ville de province suédoise, deux aquarelles dans un pub bien cool d’une ville de montagne au Chili, ou sinon au moins dans un bar PMU du Vercors. Un dimanche, marche avec quelques anonymes qui parlent d’art et de mots, lui sortira de sa poche une grosse boîte de craies, ou une tablette de chocolat.
Novembre 2013.

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