Poésies sur peintures
avril 2014. Ces textes étaient affichés à côté des œuvres lors d'une exposition de M. Antoine Paris à la galerie Seven (7 rue Bonaparte, Paris). Nous avons également griffonné deux fantaisies littéraires en guise de présentation de son travail : 1 : Le retour de l'artiste des cavernes 2 : Un peintre des simples. Plus d'informations et d’œuvres fraîches sur AntoineParis.com ou sur le FaceBook du bonhomme.

La Banane
J'ai le nez qui courbe et crochète les serrures Mais c'est la main de l'estomac qui dérobe Une main comme les vôtres Elles sont blanches, vos mains Mais vos mains portent les gants De beaux gants qui sont l'uniforme de l'innocence Avec les gants, un achat, sans, un vol Je n'ai pas d'argent pour ces gants Alors la guillotine me tombe les doigts Mais j'ai toujours une main Qui crie l'envie même à l'ombre Vous le savez, vos mains aussi Veulent toujours manger Même quand les œufs tombent du frigo Je l'avoue, je le confesse Un temps j'avais l'argent Mais ils vendaient juste près de l'étalage Un petit rien d'amour Qui pouvait à peine remplir la paume Pour le poids de ma poche Vous savez, rien qu'à l'imaginer Moi qui ne suis qu'un bloc de vice Je sentais que tout me fondait dans la gorge et dans les yeux Moi, j'ai des gants pour l'amour Vous en avez pour des bananes Et nos murs sont sales.

Le Chat bleu
Visages si morbides, mes congénères, Et pourtant ils avancent, sûrs, Comme nuages en pagaille D'un ciel rapide, accélérant, Sur eux-mêmes se tordent, s'enroulent, Enfoncent leurs voisins sans haine, Passent leur chemin effrayant, On croit lire un instant Imprimée sur leur faux corps La violence blanche qui les occupe, Au fond, ils n'ont pas d'idées propres Seul le jour les colore Ils empruntent des rouges fantastiques Puis s'assombrissent à l'identique... Des éponges à vice grotesques.

L’Officier
Ah, les salauds, les salauds ! Trente ans de service Pour un licenciement insolent ! Ils veulent du jeune... Le jeune, Quand le temps devient pressant, Son rêve en vrac au pied du lit V'là qu'le monde a raison, v'là qu'il faut du pognon ! V'là j'te fais le café, v'là qu'j'aurais mon canapé ! V'là qu'je glisse un mot au boss, V'là qu'j'aurais ma Porsche... Moi, j'avais la fierté de ma position L'amour de mon accoutrement Je n'ai pas monté les marches en les sabordant Je n'obéissais pas aux ordres Ils naissaient en moi comme dans une tête de roi Je ne représentais pas ma société Je l'incarnais. Quel costume enfiler désormais ? Autant dire que le miroir n'a plus rien à me dire Je porte encore le masque qu'ils m'ont prêté Faudrait que je m'arrache les traits Pour retrouver ce que j'étais Vaut peut-être mieux que j'en reste là Sinon dans le bar, qui me reconnaîtra ? Au fond, tout est bon pour remplir ses papiers Et promener son vide dans les escaliers Mais on se lève un jour, sueur au front, Le visage n'était qu'en location.

Le Carnaval
Derrière les barreaux Il n'y a plus que les oiseaux * Le monde est inversé Les étoiles sont à nos pieds Avant trois fois l'an Là tous les jours le déguisement On révise la conjugaison De la drogue et la boisson Viens fêter l'amitié En toute criminalité Dents blanches, dents de lait Dents jaunes et dents d'acier ! On travaille la métrique Pour se haïr en musique Allumez les bougies Que l'ombre cache l'hémorragie Chantons tous en chœur Vive la mort haute en couleurs
* Chaque second vers est repris en chœur par toute la bande comme un écho de comptoir.

La Sac d’or
Vous avez perdu le sommeil ? Votre avenir vous inquiète ? Pour ne plus voir par le cadre de la fenêtre Celui qui dehors s'allonge, Pour ne plus sentir cette aigreur Remonter les conduits, Pour ne plus entendre la femme qui se baigne Égorgée sur le palier, Pour ne plus louper la marche dans l'escalier Quand vous rêvez, Pour que la tête du gosse du dessus Ne résonne point en heurtant, Pour que les infos ne relatent que le lointain Pour que souris et cafards n'aient pas la clef, Pour que l'horloge s'entende Depuis la chambre à coucher, Pour que pèse encore le désir Sur un corps qui se laisse aller, Pour avoir le plus chouette masque de carnaval, Pour noctambuler bien assuré. N'hésitez plus, Faites appel à nos services « Repose en paix » Et nous irons chercher vos voisins en premier.

Le Sous-marin
Plongée dans l’œil d'un barbare de rue. Il n'y reste qu'une maigre lueur, Celle d'un projecteur clignotant, Passant sans fin un même vieux film muet. Des mains refermées d'obsession Sur un cou trop gras Les doigts se resserrent, Enserrent et rendent la respiration folle Les yeux vitreux, comme derrière un hublot. Incrédule de se noyer, la petite tête s'agite, Comme le poisson suspendu hors de l'eau Un carton noir marqué de craie apparaît : "Cette espèce d'imposteur, il a repris sa couleur !" Eh oui ! il a la langue de la révolution Notre méchant des bas-fonds Il a fait tomber le tyran ! Mais le corps avachi à son pied Est dans une pause à pitié La crapule qu'il a si longtemps détestée A des airs de Chaplin en usurier Un pantin pour des révoltés de paille.

L’Entrée de l’artiste
Faites votre entrée, mon bon Monsieur Que d’élégance dans le débraillement ! Vous respirez la finesse et l’art Que le bon Paris réclame Je vous sers un Jack, comme ce matin ? La lumière vous montrera le chemin Jusqu’à votre table habituelle Les femmes dandinent pour vous, Aussi habillées et peinturlurées Que Drag Queens endimanchés Un vent imbibé vous accompagne, Vous, le prophète post-moderne et négligé Le génie vous vient par lampée Les anciens chevaliers des arts et des lettres Sont tombés en défaveur Ils meurent de n’avoir pas leur tête À la place de la vôtre Et n’ont plus qu’à vanter leur intégrité Pour ramasser les miettes que vous oubliez La vraie culture connaît votre valeur Elle vous attendait ce soir Et se piquait d’impatience. Voici votre second Jack Prenez-garde à votre manche Elle se souille dans le cendrier.
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