Concevoir un site comme celui-ci avec WordPress.com
Commencer

Ramasse tes lettres : Les Choses, de Georges Perec (roman)

Un couple et son bonheur simple face au confort et aux illusions matérialistes

Perec (Georges) 1965, Les Choses (Une histoire des années soixante), 10/18

Note : 4 sur 5.

Résumé

Jérôme et Sylvie, enfants d’une classe moyenne naissante, vivent dans un mignon petit appartement mansardé, trop petit, dans le quartier latin. Ils se promènent dans les beaux quartiers et rêvent d’un bel appartement bourgeois, mêlant modernité, confort et finesse artistique. Ils sortent avec leurs amis et rêvent de festins. Ils n’ont pas les finances mais ne peuvent se résoudre à travailler pleinement dans une compagnie sérieuse qui leur apporterait ce confort. Ils tiennent à leur liberté d’artiste ou de bohème. Ils rêvent donc d’une chance merveilleuse qui leur apporterait la fortune.

L’auteur : Georges Perec (1936-1982)
D’une famille de juifs polonais, il grandit à Belleville, où sa mère tient un salon de coiffure. Son père meurt au front en 40, sa mère est déportée à Auschwitz. Georges est adopté par une tante et son mari, parents de la philosophe Bianca Lamblin, ancienne amante de Simone de Beauvoir, de quinze ans son aînée. Traumatisé par la guerre et la perte de ses parents, il suit une première thérapie auprès de Françoise Dolto en 49.
Après une hypokhâgne au lycée Henri-IV en 54, il commence un projet de roman, Les Errants, et des études d’histoire qu’il abandonne. Il passe son service militaire en 58-59 à Pau, puis rentre à Paris, où il fait la connaissance de Paulette, étudiante à la Sorbonne. Ils se marient en 60 et s’installent à Sfax en Tunisie où sa femme est nommée enseignante. Perec obtient en 62 un poste de documentaliste pour le CNRS. Paulette aide et appuie son mari pour la création de son premier roman dont on lui doit le titre puis participe aux ateliers menant à l’écriture de La Disparition, roman sans « e », avant leur séparation en 69.

Commentaires

D’un point de vue formel, Perec impose l’emploi de l’imparfait, et du conditionnel. Il se désintéresse de l’événement, de l’accompli – objets classiques du récit de roman – au profit de l’habitude, de la virtualité du rêve – qui s’opposent et crée donc le lieu de l’action narrative. Il y a une tension entre l’état de bonheur qu’ils touchent par leur mode de vie – qui ne les satisfait qu’à moitié – et celui qu’ils visent qui nécessiterait une action – conquête de richesse – à laquelle ils se refusent et qui détruirait le bonheur qu’ils ont déjà.
De plus ce bonheur matériel entrevu – par les publicités essentiellement – goûté seulement dans le statut de petite bourgeoisie, serait lui aussi une jouissance inactive, mêlant le bien-être matériel, à une indépendance au temps de travail. Si ils se consacrent à l’enrichissement par le travail, ils devront donc renoncer au mode de vie qui leur apporte le bonheur : artiste, bohème, la liberté. S’il y a un bonheur qui existe réellement dans la jouissance matérielle, il ne peut exister dans une vie aliénée par le travail, sans une émancipation, donc seule une vie de rentier semble pouvoir réconcilier ces deux aspirations. C’est ainsi qu’on pourrait entendre la citation de Marx en fin de récit. Les personnages de ce roman sont pris dans ce dilemme entre deux bonheurs concurrents : l’émancipation et le confort matériel. Ils tentent de les combiner, en rêvent, mais c’est un échec, écrit d’avance. Le récit de Perec tend même à montrer que la société pousse logiquement au choix du second : l’émancipation ne peut vraiment durer, l’inconfort dans un temps long met en danger cette émancipation.
Les Choses, premier roman publié initialement sous-titré Une histoire des années soixante, comporte ainsi un aspect très autobiographique, mettant en scène un couple proche de celui que l’auteur forme alors avec Paulette, traversé par des contradictions et tensions typiques des années soixante
et réflexions : vie de Bohême étudiante, critique marxiste de la société de consommation ; confort matériel propice à la survie du couple ; séduction de la vie de richesse et de luxe…

Passages retenus

p. 58 :
L’ennui, avec les enquêtes, c’est qu’elles ne durent pas. Dans l’histoire de Jérôme et de Sylvie était déjà inscrit le jour où ils devraient choisir : ou bien connaître le chômage, le sous-emploi, ou bien s’intégrer plus solidement à une agence, y entrer à plein temps, y devenir cadre. Ou bien changer de métier, trouver un job ailleurs, mais ce n’était que déplacer le problème. Car si l’on admet aisément de la part d’individus qui n’ont pas encore atteint la trentaine qu’ils conservent une certaine indépendance et travaillent à leur guise, si même parfois on apprécie leur disponibilité, leur ouverture d’esprit, la variété de leur expérience, ou ce qu’on appelle encore leur polyvalence, on exige en revanche, assez contradictoirement d’ailleurs, de tout futur collaborateur qu’une fois passé le cap des trente ans (faisant ainsi, justement, des trente ans un cap) il fasse preuve d’une stabilité certaine, et que soient garantis sa ponctualité, son sens du sérieux, sa discipline. Les employeurs, particulièrement dans la publicité, ne se refusent pas seulement à embaucher des individus ayant dépassé trente-cinq ans, ils hésitent à faire confiance à quelqu’un qui, à trente ans, n’a jamais été attaché. Quant à continuer, comme si de rien était, à ne les utiliser qu’épisodiquement, cela même est impossible : l’instabilité ne fait pas sérieux ; à trente ans, l’on se doit d’être arrivé, ou bien l’on est rien. Et nul n’est arrivé s’il n’a trouvé se place, s’il n’a ses clés, son bureau, sa petite plaque.

p. 80 :
D’autres fois, ils n’en pouvaient plus. Ils voulaient se battre, et vaincre. Ils voulaient lutter, et conquérir le bonheur. Mais comment lutter ? Contre qui ? Contre quoi ? Ils vivaient dans un monde étrange et chatoyant, l’univers miroitant de la société mercantile, les prisons de l’abondance, les pièges fascinants du bonheur.
Où étaient les dangers ? Où étaient les menaces ? Des millions d’hommes, jadis, se sont battus, et même se battent encore, pour du pain. Jérôme et Sylvie ne croyaient guère que l’on pût se battre pour des divans Chesterfield. Mais c’eût été pourtant le mot d’ordre qui les aurait le plus facilement mobilisés. Rien ne les concernait, leur semblait-il, dans les programmes, dans les plans : ils se moquaient des retraites avancées, des vacances allongées, des repas de midi gratuits, des semaines de trente heures. Ils voulaient la surabondance ; ils rêvaient de platines Clément, de plages désertes pour eux seuls, de tours du monde, de palaces.

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

Un avis sur « Ramasse tes lettres : Les Choses, de Georges Perec (roman) »

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Image Twitter

Vous commentez à l’aide de votre compte Twitter. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :