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Ramasse tes lettres : Orages pèlerins, de Fawaz Hussain (roman)

Kurdistan : le mirage de l’émigration

Hussain (Fawaz) 2016, Orages pèlerins, Le Serpent à plumes

Note : 3.5 sur 5.

Résumé

Quatre kurdes, venant des quatre zones géographiques – Turquie, Iran, Syrie et Irak – décident de partir vivre en France. Rustémé Zal, le plus âgé d’entre eux, fuit son petit village et le régime militaire Syrien, espérant bien revenir riche ou faire venir sa femme restée au pays, mais il est bien incapable de s’adapter. Sherko fuit l’Iran pour fuir cette vieille société écrasante, cette culture qui l’oppresse, préférant vivre comme un petit chien en Europe qu’en Kurde en Iran. Plein d’illusions, Dara, en Irak, fantasme un amour suggéré par la photo d’une prostituée, donnée par le passeur. Sino est le fils d’un mollah devenu médium à Diarbakır, profondément cultivé et connaissant la France avant d’y arriver, il est évidemment amené à y réussir.

Commentaires

Racontant tour à tour le départ des quatre protagonistes, puis leur parcours à Paris, ce roman a un aspect sociologique. Le déplacement dans le bus, la vie au village de la femme de Rustémé Zal… Mais en même temps, il y a une composante de fantaisie ou de merveilleux qui vient contrebalancer ce côté documentaire. Sherko arrive dans une grande ville et se retrouve pris dans une aventure digne des Mille et une Nuits. Sino a une aventure avec une étrange sorcière. La rencontre de la jeune fille de la photo est-elle un hasard romanesque ou un symbole d’une destinée déjà toute tracée ? Bien que ces traits fantaisistes fassent aussi partie de l’univers mental des protagonistes, ils font passer le roman du réalisme au poétique tout en mettant une dose d’ironie tragique dans le regard porté sur les personnages. Sherko fait son rêve de petit chien français, comme un conte des Mille et une Nuits, Rustémé Zal subit une mort absurde, presque un suicide involontaire, réduit qu’il était à une tentative absurde pour obtenir un permis de séjour. Tous subissent un destin tragique à l’exception de Sino qui tout en étant plus cultivé, est aussi plus malsain, vicieux, réussissant et vivant en croque-mort sur la vie échouée de ses compatriotes. Le roman est surtout noir et dur avec les illusions des immigrés. On devine assez vite l’absurde des motivations malgré la fuite d’une situation géo-politique. Les illusions de Dara sont particulièrement criantes, échouant lamentablement alors même qu’il réussit par le plus grand des hasards son rêve initial… Là encore, la trajectoire de Sino qui semblait avoir moins de raison de fuir son pays est la seule réussite et finalement la plus cohérente puisqu’il peut employer ses capacités et son esprit.

Passages retenus

p. 95 :
C’était l’homme le plus élégant du quartier [le barbier] et on disait qu’avec le pli de son pantalon savamment repassé, on aurait pu égorger une poule.
– Et tu comptes aller à Paris avec tes vêtements de femme kurde ? Les Parisiennes s’habillent comme les Syriaques et les Arméniennes de chez nous et même pire. Elles mettent des pantalons et ne se couvrent pas la tête !
Scandalisée, Tamineh [la femme de Rustémé Zal] mit la main droite devant sa bouche et fit semblant de se marteler la tête de la main droite.

p. 112-113 :
Dans les rames, il palpait l’âme de cette Europe qui l’avait attiré et qui le rejetait à présent […]. Entre cinq et six heures, il savait qu’il allait tomber sur les femmes de ménage maghrébines et africaines qui se rendaient dans les bureaux à nettoyer avant l’arrivée des employés et des fonctionnaires. Les ouvriers kurdes, turcs ou égyptiens s’en allaient eux sur les chantiers de construction, ils luttaient contre le sommeil tenace en serrant contre leur ventre leur gamelle de midi. Entre huit et neuf heures, un autre visage de la société s’offrait à ses yeux émerveillés. Les Françaises et Français « de souche » qui voyageaient alors en grand nombre lui laissaient une impression de gens endeuillés. Dans un silence de cimetière, chacun enfonçait son visage récemment lavé, maquillé ou rasé dans un roman policier américain où des assassins fous commettaient des meurtres à la chaîne et découpaient les victimes en rondelles ou en quartiers comme dans une boucherie. Le soir après une journée de travail harassante, les mêmes Françaises et Français « de souche » s’en revenaient encore plus silencieux et lugubres. Il s’abîmaient davantage dans leurs lectures et l’envie de devenir des criminels fous furieux les obsédaient davantage. Si des Africains ou des Chinois criaient au lieu de parler dans la rame, alors beaucoup de ces Françaises et Français enfonçaient encore davantage leur nez dans les pages dégorgeant de sang et l’envie de passer à l’acte occupait la moindre cellule de leur corps. Armés de tronçonneuses ou de haches, ils s’imaginaient laisser la rame dans un bain de sang, le sang de ces étrangers qui venaient manger le pain des Françaises et Français et qui les empêchaient de lire leurs romans américains en paix.

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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