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Ramasse tes lettres : L’amour avant que j’oublie, Lyonel Trouillot (roman, Haïti)

Le « Je » est un roman d’apprentissage, roman de la rencontre d’autres romans

Trouillot (Lyonel) 2007, L’amour avant que j’oublie, éd. Actes Sud, coll. Babel, 2007

Note : 4 sur 5.

Résumé

L’Écrivain est amoureux d’une femme croisée à un colloque, mais n’a pas les mots pour lui dire. Il écrit alors en lui racontant la vie qu’il mène dans un petit foyer, avec trois hommes plus âgés : Raoul, l’Historien et l’Étranger. Le premier est un ouvrier débrouillard, le second est un ancien historien qui s’est séparé de sa famille, le troisième raconte ses anciens voyages et attend son visa pour repartir.

La littérature, dans sa folie, peut-elle remplir le vide que laissent parfois les sciences humaines ?

p. 136

Commentaires

Roman d’apprentissage d’un homme mûr – encore jeune homme naïf et jeune écrivain inexpérimenté – auprès de trois vieilles expériences, trois hommes complets ayant vécu, rêvé, réussi et échoué, appris à s’arranger avec ce parcours (est-ce devenir sage ? accepter sa destinée en philosophe stoïque ?). Le récit d’abord difficile par son ambition poétique se libère peu à peu dans l’écriture de la sensibilité. Les trois personnages et le narrateur se dévoilent par touches d’humanité, attachantes et résignées. Trouillot trouve l’originalité non dans la peinture d’un pays exotique (pour les français), ni dans une histoire extraordinaire, ni dans un apprentissage de l’échec ou de la réussite, mais dans un regard dénué de jugement, attaché, décidé à aller à la rencontre du contenu du vécu avec empathie, pour mieux comprendre l’humain qui s’y cache (un peu à la manière dont le chercheur doit, selon Henri-Irénée Marrou, aborder les documents historiques avec sympathie, comme un ami faisant taire son jugement critique pour mieux comprendre l’origine du sentiment et du dit). Le récit se constitue d’une collecte, d’un échange de récits entre les aînés et le narrateur, imitant la manière dont chacun incorpore dans son propre vécu, dans son intériorité, les discours de ceux avec qui il partage sa vie, par l’amitié. En cela, l’Écrivain parlant de ses amis à cette femme parle bien de lui-même, de ses profondeurs sensibles, de son intimité mais en toute pudeur. D’autre part, il est question pour l’homme d’âge mûr d’apprendre que le monde est fait de ces existences imparfaites, de ces destinées souvent inabouties, de quantité d’échecs, qui n’entament en rien la beauté de l’humain. C’est en acceptant que l’échec fait partie de la vie que l’on peut prendre le risque de réussir (donc celui d’aimer pour le personnage de l’Écrivain), prendre le risque de vieillir dans le bien-être. En cela, chaque vie est un roman, une auto-fiction que l’on se raconte et que l’on raconte aux autres, dans laquelle la sensibilité organisée, la poésie, avec laquelle on considère son vécu, compte bien davantage que l’authenticité des faits et leur valeur supposée.

Le second point du récit concerne la mise en abyme du métier d’écrivain. Le « jeune » écrivain apprend à raconter les vies humaines – et plus encore, celles des « sages » – avec la juste retenue qui convient quand on s’intéresse à l’intime, à la difficulté de l’existence, et à l’expérience en tant que totalité. Faire roman n’est ni raconter des faits extraordinaires, embellir ou enlaidir une réalité, ni parler avec de beaux mots, de belles images, mais trouver le ton approprié, la justesse des mots et des expression qui pourront faire ressentir ce que sent l’homme dans l’écrivain, pourquoi ces choses racontées, même anecdotiques, prennent importance. Écrire des histoires, c’est ainsi parler de soi, oser dévoiler sa sensibilité. Autre partie de l’apprentissage de l’écriture, c’est réfléchir à la place de la littérature dans la société humaine. La partie du roman imaginant un procédé d’écriture collective où chacun – par la rencontre – lit un livre déjà commencé, y ajoute un morceau de sa vie transformé en littérature, avant de le livrer à autrui, est également une réflexion sur l’entremêlement de la fiction littéraire et de la vie réelle.

Passages retenus

p. 63 :
Ils avaient encore parlé de tout et de rien dans le hall. La conversation s’éternisait. Tout et rien, ça fait beaucoup de choses sans importance grignotant sur le temps qui reste aux mots d’amour.

Utopie de co-écriture par livre errant, p. 177 :
Je me dis que nous, les humains, devrions chacun écrire un livre par rencontre et le laisser sur un banc, sous une fenêtre, dans un lieu affectionné par le destinataire. Chaque destinataire garderait cependant la latitude de prêter à ses connaissances le livre écrit pour lui , voire de l’offrir à une personne plus susceptible d’être touchée par la fable ou la musique des mots. Chacun pourrait dire à un de ses proches ou à un inconnu, on m’a écrit cela, mais je crois que cela vous ira mieux qu’à moi. Le destinataire pourrait aussi modifier le livre à sa convenance, l’enrichir de ses propres doutes ou d’une autre lumière. Nous serions tous coauteurs des écritures croisées qui circuleraient de par le monde. Un homme passe dans la rue. Un livre tombe d’une fenêtre. L’homme l’ouvre et se met à lire en continuant sa marche. Du livre sort un arc-en-ciel. L’homme s’arrête à la première place publique et s’assied sur un banc pour continuer sa lecture. L’arc-en-ciel grandit. Une femme, sur un autre banc, regarde jouer une petite fille. L’homme pense que l’arc-en-ciel irait bien à la petite fille. A cause des rubans. Il sort son stylo et il ajoute les pages dans lesquelles une petite fille joue sur une place. Il l’appelle et il lui tend le livre. La petite fille s’empresse d’aller montrer son cadeau à sa mère. « Regarde, maman, ce monsieur, là-bas, m’a offert un arc-en-ciel. » Le soir, pour aider sa fille à faire de beaux rêves, la mère lui lit le livre. Et la fille propose d’ajouter une couleur à l’arc-en-ciel pour faire plaisir à sa maîtresse. […] Le lendemain matin, elle offre le livre en cadeau à la maîtresse. La maîtresse en effet estime qu’il manque quelque chose. Non, ce n’est pas une couleur. Voilà, il manque le cours d’eau où l’arc-en-ciel va boire. Et elle ajoute les pages où l’arc-en-ciel se penche sur l’eau et perd son chapeau.. Elle ajoute aussi des notes de musique, pour son petit ami qui joue du violon dans un orchestre.

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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