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Ramasse tes lettres : Nana, Émile Zola (roman)

L’irrésistible ascension d’une fleur du mal

Zola (Émile) 1879-1880, Nana, Charpentier, 1880

Note : 4 sur 5.

Résumé

Nana est une jeune femme issue d’une famille ouvrière alcoolique (dont l’histoire est contée dans L’Assommoir). Elle a eu un enfant à l’âge de 16 ans et a connu la prostitution. Elle fait des débuts fracassants au théâtre dans un rôle de Vénus taillé pour elle qui ne sait nullement jouer mais dont la chair généreuse fait parler le tout Paris. Elle fait la noce tous les soirs aux frais de ses amants. Elle tente un temps d’échapper à cette vie en se mettant en couple avec le comédien Fontan, mais celui-ci finit par la frapper.
Le conte Muffat, homme plutôt chaste, finit par s’éprendre d’elle, prêt à lui sacrifier sa fortune, son mariage et son honneur. Nana s’y refuse un temps, par fidélité pour ses origines modestes, mais elle va bientôt vivre comme une reine avec son argent.

Sur Gallica, vous trouverez le dossier préparatoire (carnets, brouillons, plan de travail, fiches persos, croquis…) du roman et les épreuves corrigées (corrections de style après une première impression), parties 1 et 2.

Commentaires

Si le roman met longtemps à partir (comme souvent chez l’auteur), c’est que Zola définit en profondeur ses personnages et ce, même s’ils vont avoir un rôle minime (en atteste sa technique des fiches-personnage pour donner une épaisseur à des caractères, même si on ne raconte pas leur vie dans le roman). C’est dans la suite du roman que se révèle l’intérêt de toute cette préparation. Les accidents et péripéties deviennent, à l’instar d’une tragédie grecque, les conséquences logiques de l’entre-choc des caractères, comme la déchéance, le dérèglement du corps de Nana est une conséquence logique de sa programmation généalogique (marquée par la tare de l’alcoolisme chez ses parents). On est en cela dans une parfaite illustration du roman expérimental (on pose des caractères « sociologiquement » bien étudiés dans une situation, et on raconte ce qui se passe logiquement, comme si on faisait le compte-rendu d’une expérience), mais l’écriture de Zola n’est aucunement scientifique et garde le lyrisme hérité du romantisme.

La beauté étourdissante de Nana, prostituée issue de la plus crasseuse origine, irrésistible pour l’élite, incarnant la déviance sexuelle (relations lesbiennes, multisexualité) jusqu’à la maladie, renvoie clairement à l’esthétique des Fleurs du mal de Baudelaire, faire surgir le beau de l’horreur (thème romantique par excellence), et Nana renvoie à la femme de nombreuses pièces condamnées, comme « Les Métamorphoses du vampire » dans laquelle une prostituée au corps délicieux se pavane, rit et se vante d’être « La lune, le soleil, le ciel et les étoiles » pour les hommes, et apparaît au lendemain comme « une outre aux flancs gluants, toute pleine de pus ».

Cette ascension d’une femme modeste, même pas intelligente, par le simple atout de son corps appelant au sexe, est un symbole de perdition et de nivellement par le bas de toute une société séduite par le vice. Mais au-delà d’être une coquette, une femme entretenue, lascive et se laissant aller à la paresse et au sexe, Nana est également une figure de femme-victime, victime socialement d’abord qui cherche par tous les moyens à s’extirper de sa condition héritée mais son destin est une tragédie car son personnage est forcément rattrapé par les faiblesses héritées. Comme un ancien voyou qui, devenu riche, trempe dans les affaires louches, le monde de la drogue… comme s’il se sentait nostalgique de ce monde qu’il a laissé. Nana victime des hommes également, en tant que femme battue. Mais Nana justement se révolte et va par la suite ne plus se laisser dominer par les hommes mais au contraire les dominer, ce qui l’enferme dans une impossibilité d’être heureuse (parce qu’elle veut les dominer, elle ne peut plus être dans une relation équilibrée). Nana propose alors la figure d’une femme forte, en révolte, une femme qui se joue du monde tel qu’il est, une effrontée, une incarnation de la Lilith, cette première femme reniée, devenue folle, vengeuse.

Mais à la manière de Dom Juan, de Scarface… son ascension fulgurante est annonciatrice d’une chute. Chute provoquée par elle-même, l’excès de sa nature, ou bien par un entourage jaloux ? Cette tragique rechute offre un contraste avec le personnage de Bel-Ami de Maupassant, qui réussit socialement de la même manière, mais qui semble ne jamais devoir rechuter : la réussite par le sexe n’est bien-sûr pas considérée de la même façon par la société dans les deux cas… Et aucun des auteurs ne semble d’accord avec ce regard de la société. Maupassant fait ressentir l’injustice de la réussite de personnage immoral, estimé socialement, sympathique au début, finalement devenu détestable ; Zola au contraire veut susciter la pitié pour cette femme superficielle, intéressée, un peu simplette, parfois même cruelle, qui finalement n’aura été que le jouet d’une société pervertie. Le point commun est que les deux personnages – provenant du peuple – ont dû se faire mauvais pour accéder à la réussite sociale.

Dans cette position de Zola prenant la défense d’une femme de mauvaises moeurs, dégoût absolu des femmes bourgeoises trompées, il y a presque un début de position féministe, pas clairement exprimée bien-sûr ; on sait bien comme Lilith sera récupéré comme symbole par un certain féminisme.

Passages retenus

Femme-Narcisse, poison social, p. 236-237 :
— Moi, je n’ai pas sommeil, je ne me couche pas, dit-elle, lorsqu’ils se furent enfermés.
Le comte lui obéissait avec une soumission d’homme qui ne craint plus d’être vu. Son unique souci était de ne pas la fâcher.
— Comme tu voudras, murmura-t-il.
Pourtant, il retira encore ses bottines, avant de s’asseoir devant le feu. Un des plaisirs de Nana était de se déshabiller en face de son armoire à glace, où elle se voyait en pied. Elle faisait tomber jusqu’à sa chemise ; puis, toute nue, elle s’oubliait, elle se regardait longuement. C’était une passion de son corps, un ravissement du satin de sa peau et de la ligne souple de sa taille, qui la tenait sérieuse, attentive, absorbée dans un amour d’elle-même. Souvent, le coiffeur la trouvait ainsi, sans qu’elle tournât la tête. Alors, Muffat se fâchait, et elle restait surprise. Que lui prenait-il ? Ce n’était pas pour les autres, c’était pour elle.
Ce soir-là, voulant se mieux voir, elle alluma les six bougies des appliques. Mais, comme elle laissait glisser sa chemise, elle s’arrêta, préoccupée depuis un moment, ayant une question au bord des lèvres.
— Tu n’as pas lu l’article du Figaro ?… Le journal est sur la table.
Le rire de Daguenet lui revenait à la mémoire, elle était travaillée d’un doute. Si ce Fauchery l’avait débinée, elle se vengerait.
— On prétend qu’il s’agit de moi, là dedans, reprit-elle en affectant un air d’indifférence. Hein ? chéri, quelle est ton idée ?
Et, lâchant la chemise, attendant que Muffat eût fini sa lecture, elle resta nue. Muffat lisait lentement. La chronique de Fauchery, intitulée La Mouche d’or, était l’histoire d’une fille, née de quatre ou cinq générations d’ivrognes, le sang gâté par une longue hérédité de misère et de boisson, qui se transformait chez elle en un détraquement nerveux de son sexe de femme. Elle avait poussé dans un faubourg, sur le pavé parisien ; et, grande, belle, de chair superbe ainsi qu’une plante de plein fumier, elle vengeait les gueux et les abandonnés dont elle était le produit. Avec elle, la pourriture qu’on laissait fermenter dans le peuple remontait et pourrissait l’aristocratie. Elle devenait une force de la nature, un ferment de destruction, sans le vouloir elle-même, corrompant et désorganisant Paris entre ses cuisses de neige, le faisant tourner comme des femmes, chaque mois, font tourner le lait. Et c’était à la fin de l’article que se trouvait la comparaison de la mouche, une mouche couleur de soleil, envolée de l’ordure, une mouche qui prenait la mort sur les charognes tolérées le long des chemins, et qui, bourdonnante, dansante, jetant un éclat de pierreries, empoisonnait les hommes rien qu’à se poser sur eux, dans les palais où elle entrait par les fenêtres.

Une femme battue, p. 268-272 :
Et elle faisait mine de l’enjamber, pour sauter par terre. Alors, poussé à bout, voulant dormir, Fontan lui allongea une gifle, à toute volée. La gifle fut si forte, que, du coup, Nana se retrouva couchée, la tête sur l’oreiller. Elle resta étourdie.
— Oh ! dit-elle simplement, avec un gros soupir d’enfant.
Un instant, il la menaça d’une autre claque, en lui demandant si elle bougerait encore. Puis, ayant soufflé la lumière, il s’installa carrément sur le dos, il ronfla tout de suite. Elle, le nez dans l’oreiller, pleurait à petits sanglots. C’était lâche d’abuser de sa force. Mais elle avait eu une vraie peur, tant le masque drôle de Fontan était devenu terrible. Et sa colère s’en allait, comme si la gifle l’avait calmée. Elle le respectait, elle se collait contre le mur de la ruelle, pour lui laisser toute la place. Même elle finit par s’endormir, la joue chaude, les yeux pleins de larmes, dans un accablement délicieux, dans une soumission si lasse, qu’elle ne sentait plus les miettes. Le matin, quand elle se réveilla, elle tenait Fontan entre ses bras nus, serré contre sa gorge, bien fort. N’est-ce pas ? il ne recommencerait jamais, jamais plus ? Elle l’aimait trop ; de lui, c’était encore bon, d’être giflée.
Alors, ce fut une vie nouvelle. Pour un oui, pour un non, Fontan lui lâchait des claques. Elle, accoutumée, empochait ça. Parfois, elle criait, le menaçait ; mais il l’acculait contre le mur en parlant de l’étrangler, ce qui la rendait souple. Le plus souvent, tombée sur une chaise, elle sanglotait cinq minutes. Puis, elle oubliait, très gaie, avec des chants et des rires, des courses qui emplissaient le logement du vol de ses jupes. Le pis était que, maintenant, Fontan disparaissait toute la journée et ne rentrait jamais avant minuit ; il allait dans des cafés, où il retrouvait des camarades. Nana tolérait tout, tremblante, caressante, avec la seule peur de ne plus le voir revenir, si elle lui adressait un reproche.

Retour à la boue originelle, p. 516 :
Elle partit, elle ferma la porte. Nana restait seule, la face en l’air, dans la clarté de la bougie. C’était un charnier, un tas d’humeur et de sang, une pelletée de chair corrompue, jetée là, sur un coussin. Les pustules avaient envahi la figure entière, un bouton touchant l’autre ; et, flétries, affaissées, d’un aspect grisâtre de boue, elles semblaient déjà une moisissure de la terre, sur cette bouillie informe, où l’on ne retrouvait plus les traits. Un œil, celui de gauche, avait complètement sombré dans le bouillonnement de la purulence ; l’autre, à demi ouvert s’enfonçait, comme un trou noir et gâté. Le nez suppurait encore. Toute une croûte rougeâtre partait d’une joue envahissait la bouche, qu’elle tirait dans un rire abominable. Et, sur ce masque horrible et grotesque du néant, les cheveux, les beaux cheveux, gardant leur flambée de soleil, coulaient en un ruissellement d’or. Venus se décomposait. Il semblait que le virus pris par elle dans les ruisseaux, sur les charognes tolérées, ce ferment dont elle avait empoisonné un peuple, venant de lui remonter au visage et l’avait pourri.

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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