Goûte à l’image : Poèmes anacréontiques, par la Pléiade (poésie)

Faut-il être ivre pour chanter la joie ?

Anacréon (de Téos) -500(~), La Pléiade 1550, Richard Renvoisy 1573, Anacréon et les poèmes anacréontiques, Lemale & Cie, Le Havre, 1891

Traduction du grec ancien et imitations par Remi Belleau, Pierre de Ronsard, Jean-Antoine de Baïf, Richard de Renvoisy (XVIe siècle)

Exemplaire numérisé disponible sur Gallica et sur archive.org.

Note : 4 sur 5.

Résumé

Anacréon chante la légèreté de l’amour et de la fête, aux banquets de Polycrate et d’Hypparque, là où sont réunis pour se réjouir la meilleure société.

Le poète : Anacréon (-550 ; -464)
Né à Téos, en Ionie (côte occidentale de la Turquie actuelle), à mi-chemin d’Ephèse et de Smyrne. Suite à l’invasion de la Ionie par le perse Harpage, il s’exile à Abdère en Thrace.
Adulte, il devient poète à la cour du tyran Polycrate, sur l’île de Samos, juste en face de sa région natale. A la mort de ce dernier en -522, il se rend à la cour du tyran Hipparque, à Athènes, se lie avec de grands hommes comme le poète Simonide de Céos et avec le politique Xanthippe.
A la chute des frères Pisistrates en -510, il rentre dans sa Ionie natale. Il serait mort en s’étouffant d’un raisin sec…

Commentaires

En arrière plan de ces banquets artistiques et festifs, de cette légèreté poétique, semble-t-il insouciante, il y a la guerre avec l’empire perse, et la chute programmée de ces cours protégées et réunies par des tyrans. Tout en manifestant son refus de s’engager et de parler politiquement, Anacréon marque par son regard faussement simple, par son volontaire œil rieur, une connaissance de la situation.
Dans sa poésie lyrique ne se manifeste pas de pathos lyrique mais plutôt un perpétuel chant dionysiaque. Comme les fêtes du même nom sont une période déterminée, appelée à se terminer, cette réjouissance est elle-aussi provisoire, mais célébrée comme la chose la plus gaie et méritant le plus d’être célébrée.
La légèreté se lit dans la composition, qui malgré le recours aux images, n’est jamais lourde, ne relève jamais de l’artillerie des artifices de la culture antique. L’hirondelle qui vient chanter le matin dérange les amants, le vin doit être bu sans excès, pour le plaisir.
Henri Etienne publie un recueil des poésies d’Anacréon et imitations en grec dès 1554. Ronsard écrit tout de suite des pièces inspirées du vieillard de Téos. Deux ans plus tard, Remi Belleau donne une traduction de l’ensemble des pièces. Baïf et quelques autres suivront. Richard Renvoisy en transformera quelques unes en chansons – ce qui était peut-être leur forme grecque originale. D’ailleurs les traductions de Remi Belleau – sans doute les plus proches de l’original – se rapprochent elles aussi du rythme léger de la chanson là où les réinterprétations de Ronsard prennent des tours plus compliqués bien que parfois magnifiques. On a reproché aux versions de Belleau d’être un peu sèches, mais à notre époque moderne, ce sont peut-être elles qui ont le moins de raideur artificielle, le plus de fluidité – ce qui correspondait bien avec la réputation de leur auteur original. Cela sans compter que la langue de Remi Belleau est sans conteste la plus moderne.

Passages retenus

p. 11 :
L’Amour mouillé

Il était minuit, et l’ourse
De son char tournoit la course
Entre les mains du bouvier,
Quand le somme vint lier
D’une chaine sommeillere
Mes yeux clos sous la paupiere.
Jà, je dormais en mon lit,
Lors que j’entr’ouy le bruit
D’un qui frapoit à ma porte,
Et heurtoit de telle sorte
Que mon dormir s’en alla.
Je demanday : « Qu’est-ce là
Qui fait à mon huis sa plainte ?
– Je suis enfant, n’aye crainte »,
Ce me dit-il. Et adonc
Je luy desserre le gond de ma porte verrouillée.
« J’ay la chemise mouillée,
Qui me trempe jusqu’aux oz,
Ce disoit, car sur le doz
Toute la nuict j’ay eu la pluie,
Et pour ce je te supplie
De me conduire à ton feu
Pour m’aller seicher un peu. »
Lors je prins sa main humide,
Et par pitié je le guide
En ma chambre, et le fis seoir
Au feu qui restoit du soir ;
Puis, allumant des chandelles,
Je vy qu’il portoit des ailes,
Dans la main un arc turquois,
Et sous l’aisselle un carquois.
Adonc en mon cœur je pense
Qu’il avoit grande puissance,
Et qu’il falloit m’apprester
Pour le faire banqueter.
Cependant il me regarde
D’un œil, de l’autre il prend garde
Si son arc estoit seché ;
Puis, me voyant empesché
A luy faire bonne chere,
Me tire une flesche amere
Droict en l’oeil, et qui de là
Plus bas au cœur devala,
Et m’y fit telle ouverture
Qu’herbe, drogue ny murmure,
N’y serviroient plus de rien.
(Ronsard, Odes, t. II)

p. 43
L’Arondelle

Tay-toy, babillarde arondelle
Ou bien je plumeray ton aile,
Si je l’empoigne, et d’un cousteau
Je te couperay ta languette,
Qui matin sans repos caquette
Et m’estourdit tout le cerveau.
Je te preste ma cheminee
Pour chanter toute le journee,
De soir, de nuict quand tu voudras ;
Mais au matin ne me resveille,
Et ne m’oste quand je sommeille,
Ma Cassandre d’entre les bras.
(Ronsard, Odes, II, 486.)

p. 79
De vivre gayement

Je suis né pour prendre fin,
Et pour faire le chemin
De ce trop soudain voyage :
Je cognois combien j’ay d’âge,
Mais, las ! je ne dois sçavoir
Les ans que je puis avoir.
Loin de moi fuyez tristesse,
Fuyez ennuis & detresse,
Loin de moy fuyez vous tous,
Je n’ay que faire avec vous !
Pendant que vif je soupire,
Je veux dancer, je veux rire,
Ayant tousjours compagnon
Le bon Bacchus mon mignon.
(Remi Belleau)

p. 83
Quand du bon vin je boy, etc.

Quand du bon vin je boy
Tost endormi je voy
Mes soucys et mes cures :
Que me chaut de travaux
D’entreprinses ny maux
Ny de pensees dures ?
Il me faudra mourir
Et en terre pourrir
Bon gré malgré mes dents.
Que me chaut des erreurs
De la vie, des pleurs
Ny des desirs mordentz.
Buvons, buvons joyeux
De ce vin gracieux.
Pendant que le burons,
Noz soucis esclarcis
Et travaux adoucis
Sans y penser verrons.
(1573. Richard Renvoisy, Odes d’Anacréon mises en musique.)

p. 87 :
Le Mesme (Du plaisir qu’il a de boire)

Bacchus, race de Jupiter,
Le deli-soing, le chasse-peine,
Si tost qu’ay la poitrine pleine
De luy, il m’apprend à sauter :
Ce qu’en plaisir me fait passer
Le fil des ans : puis ma mignonne
Quand je suis las, plaisir me donne,
Et puis je retourne dancer.
(Remi Belleau)

p. 120
D’amour picqué par une mouche à miel

Amour ne voyait pas enclose
Entre les replis de la rose
Une mouche à miel, qui soudain
En l’un de ses doigts le vint poindre :
Le mignon commence à se plaindre,
Voyant enfler sa blanche main.

Aussitos à Venus la belle,
Fuyant, il volle à tire d’aelle ;
« Mere, dist-il, c’est fait de moy,
C’en est fait, et faut qu’à ceste heure
Navré jusques au cœur je meure,
Si secouru ne suis de toy.

Navré je suis en ceste sorte
D’un petit serpenteau, qui pore
Deux ailerons dessus le dos,
Aux champs une abeille on l’appelle :
Voyez donc ma playe cruelle,
Las ! il m’a picqué jusqu’à l’os. »

« Mignon (dist Venus), si la pointe
D’une mouche à miel telle atteinte
Droit au cœur (comme tu dis) fait,
Combien sont navrez davantage
Ceux qui sont espoinds de ta rage,
Et qui sont blessez de ton trait ? »
(Remi Belleau)

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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