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Ramasse tes lettres : La vie très privée de Mr Sim, de Jonathan Coe (roman)

La route difficile d’un perdant en quête de lui-même

Coe (Jonathan) 2010, La vie très privée de Mr Sim, Gallimard, 2011
Traduit de l’anglais par Josée Kamoun (titre original : The terrible privacy of Maxwell Sim)

Note : 4 sur 5.

Résumé

En dépression depuis quelques mois, sa femme partie avec sa fille, Maxwell Sim, 48 ans, rentre en Angleterre après quelques jours passés auprès de son père à Sidney. Il va devoir retrouver sa vie vide, sans intérêt, de vendeur dans un magasin de jouets. Dans l’avion, il rencontre une jeune femme séduisante qui lui fait découvrir l’histoire de Donald Crowhurst, marin qui avait triché lors d’un tour du monde en voile, se laissant finalement mourir en mer avant qu’on découvre la supercherie.
A Watford, son ami Trevor lui propose de participer à un road trip commercial pour son entreprise de brosses à dent. Maxwell se retrouve ainsi au volant d’une Toyota Prius, accompagné de la voix féminine du GPS, en route pour les Shetlands. Il prévoit sur le chemin quelques étapes, espérant reprendre le contrôle de sa vie.

Commentaires

Apparemment inspiré d’un fait divers insolite (la découverte d’un VRP presque nu dans une belle voiture, avec deux bouteilles de whisky vides, un carton de brosses à dent et d’un sac de cartes postales), ce roman brode une histoire ancrée dans le réel et dans notre époque, apparemment très simple comme la vie ratée du protagoniste, « looser » par excellence, membre de la classe moyenne incapable de réussir dans la compétition sociale, éternellement dénué de passion, incapable de vivre l’amour, loin de tout engagement politique, semblant passer à côté de toutes les opportunités, séduit par l’artificialité de la technologie qui remplace et comble le vide de sa vie, mal à l’aise dans l’existence. Or, d’anecdotes en mésaventures, la vie de M. Sim s’épaissit. La figure emblématique de Donald Crowhurst donne perspective à son périple : pour sortir de sa situation de complexé, Mr Sim ne peut que se mettre dans une situation de risque, à laquelle il ne peut répondre que par l’échec, la tricherie ou le suicide.
L’auteur va plus loin encore, sur le terrain psycho et socio-logique, cherchant à comprendre ce qui enferme ainsi le petit bourgeois (ou citoyen anglais moyen) dans un monde de médiocrité, notamment en s’intéressant à la fonction paternelle. Le père est lui aussi en échec : attirance pour une fonction artistique qui le dépasse (ici, la poésie, dont les codes, goûts et conditions de réussite sont essentiellement dictés par l’élite) ; frustration par rapport à une tentation sexuelle toujours refoulée ; fragilité devant l’échec ; bassesse de certains actes visant à combler sa frustration ; jalousie envers les personnes réussissant ; difficulté à parler de ses problèmes… La figure du père est ici fondamentale pour comprendre le looser, bien plus que celle de la mère. Dans un monde soi-disant progressiste, l’image dominante de l’homme continue d’être celle de l’homme viril, compétiteur, fort, hétérosexuel, père de famille… Cette représentation crée beaucoup de frustrations, particulièrement dans la classe moyenne, les marges et les élites restant plus à l’aise avec la transgression (On pensera ici au Mythe de la virilité, d’Olivia Gazalé, qui pointe du doigt la persistance de la représentation de l’homme en mâle alpha, faisant grandement souffrir les hommes s’en éloignant).
Ce qui semblait se rapprocher au départ d’un road trip looser (Maxwell cherchant le contact humain au retour à Watford, se fait raquetter…), à l’image de certaines parodies américaines, américains moyens singeant les intellos et marginaux des films d’auteur, prend l’épaisseur anglaise, la finesse du regard, à la manière d’un Ken Loach, faisant du looser un perdant magnifique, luttant de tout son être contre les frontières ridicules de l’existence médiocre du petit bourgeois destiné à l’échec, au mal-être, fabriqué en série par un monde industriel.

Passages retenus

La déception de l’enfant, p. 78 :
Dans la vie de tout enfant, je présume, il vient un jour où le mot « déception » prend toute la cruauté de son sens. L’instant où il comprend que ce monde, qu’il avait jusque-là cru porteur de toutes les promesses, riche de possibilités infinies, n’est en fait qu’une vulgaire boule affligée d’un vice de fabrication. Cet instant est parfois dévastateur, et peut laisser des séquelles psychiques pendant des années, tant il est plus fort que le souvenir des premières joies et des premiers enthousiasmes de l’enfance.

Goût pour le banal urbain produit en série, p. 300 :
Encore un déjeuner solitaire, encore une aire de services, encore un panino. Champignons, prosciutto et salade verte, cette fois.
Bienvenue à l’Aire de services d’Abington. C’est plus fort que moi, j’aime ces endroits. Je m’y sens chez moi. J’aimais bien les chaises en bois foncé, les tables en bois clair, le look Habitat, très nineties. J’aimais bien les deux énormes yuccas qui trônaient entre les tables. J’aimais le deck de bois battu par le vent, dehors, les parasols fermés, claquant sous la brise humide du jour. J’aimais qu’au milieu de ce paysage spectaculairement rural on ait recréé cette oasis de banalité urbaine. J’aimais l’expression de ceux qui qui quittaient le comptoir du Café Primo avec leur plateau de pizza ou de fish and chips, anticipant leur plaisir, convaincus qu’ils allaient se régaler. C’était mon genre, cet endroit, je m’y sentais à ma place.

Supercherie du narrateur, réécrire sa vie dans la fiction, p. 327 :
Non, rien n’est vrai, mais vous savez quoi ? Je crois que je commence enfin à me débrouiller, comme écrivain. Qui sait si je ne vais pas suivre les traces de Caroline et tenter à mon tour de le monter, ce fameux groupe d’écriture de Watford ? A mon avis, il y a des passages du dernier chapitre qui valent bien le travail de Caroline sur nos vacances en Irlande. Ca vous a plu, la scène érotique où toutes mes phrases commençaient par « j’oublie » ? Ca, c’est du boulot d’écrivain, tiens ! Il m’a fallu du temps pour la trouver, cette idée.
Et je dois avouer que j’y ai vraiment pris plaisir. Je n’aurais jamais imaginé qu’inventer soit aussi gratifiant. J’ai pris plaisir à mon petit fantasme sur Alison, notre nuit de passion et notre vie commune. L’espace d’un instant, j’ai cru être encore chez elle, dans sa chambre, et que tout arrivait vraiment, au lieu de cette réalité de merde, minable, misérable, immanquable […].

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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