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Regarde ta face : la Leçon de Ionesco (théâtre)

Professeur, garant de la normalité ?

Ionesco (Eugène) 1951, La Leçon [in La Cantatrice chauve suivi de La Leçon], Gallimard, coll. Folio, 1954

Note : 4 sur 5.

Résumé

Ce matin, le professeur reçoit une nouvelle élève, une belle jeune fille qui semble l’élève idéale. Mais celle-ci a manifestement une incapacité mentale à réaliser une soustraction et cela met le vieux professeur hors de lui.

L’auteur : Eugène Ionesco (1909-1994)

Commentaires

Le comique repose sur la caricature de la situation d’enseignement, le question-réponse, la répétition de l’erreur, l’agacement du professeur, agacement susceptible de le mener à une crise profonde, crise nerveuse parce qu’elle révèle l’incohérence même d’un système d’enseignement.

Cette petite comédie loufoque (la jeune fille est capable de calculer des multiplications impressionnantes mais incapable de soustraire), sous des apparences de fait divers (un prof tueur en série) grossit en fait une situation typique de l’enseignement ; elle fait la critique du mode d’éducation le plus répandu. Le professeur fait face à l’incohérence de son élève. Et devant cette chose qui le dépasse, l’anormalité fondamentale de son élève, le professeur n’a d’autre choix que de craquer, que d’écarter, de renier l’élève (la tuer ?) pour restaurer la normalité. Dans la conception traditionnelle de l’enseignement, il y a une normalité théorique et pas de place pour ceux n’y correspondant pas, qui sont effectivement écartés. Or, cette anormalité de l’élève, cette imperfection, est bien-sûr la norme. Tout élève, et au-delà tout être humain pensant, a bien entendu des défaillances de raisonnement. Se priver de l’un d’eux, dont les défaillances transparaissent, c’est se priver de compétences importantes dans d’autres domaines.

Le second point pédagogique que l’on peut observer dans cette pièce, c’est le côté chien savant de la jeune fille. Elle apprend tel qu’on le lui demande, ni plus ni moins. La raisonnement est étouffé, caché, par la méthode scolaire. Ce qui laisse penser que même les élèves parfaits, acceptables par ce professeur allergique aux mauvais, ne sont que des défectueux cachés sous des apparences de bons élèves. Les questions du professeur ne demandant en effet aucun raisonnement, mais un apprentissage scolaire.
La manière dont Ionesco détaille longuement l’endormissement progressif de la jeune fille sous l’effet de la leçon montre le sens que l’auteur donne à son drame. Le jeu d’acteur donnera à la fois esthétique et sens à la pièce. Symboliquement, la pédagogie a pour effet d’étouffer la vitalité de l’élève, sa personnalité, son ingéniosité, ainsi que de le transformer en une sorte de zombie, une proie facile, facile pour un assassin, mais facile aussi pour un gourou, une propagande fasciste, ou bien simplement une société de consommation. L’esthétique minimaliste, l’absence d’objets illustre de même la volonté abstractrice de la pédagogie, dont l’effet est l’anéantissement de l’humain, d’où également son affadissement progressif. La pédagogie est déshumanisante.

Si l’on élargit les symboles à la société, le professeur devient la volonté de supervision et de formation du citoyen par la société. Former des bons citoyens, rejeter les défectueux… Cette philosophie qui conceptualise un citoyen idéal, un fonctionnement humain idéal, et qui force des êtres imparfaits, difformes, à rentrer dans le moule est voué à l’échec ou au massacre. C’est le principe du fascisme. On retrouve ainsi cette préoccupation de Ionesco, qui frappait dans Rhinocéros qui s’intéressait à la propagation. Ici, il, par une méthode proche de l’ironie socratique, il fait accoucher la philosophie fasciste à son premier degré (l’éducation par le modèle idéal) d’une monstruosité.

Au delà du rapprochement d’avec le fascisme, c’est le modèle d’enseignement tel qu’on le connaît qui est démonté. Pourquoi vouloir façonner les êtres malgré leurs défauts évidents, les assigner à un modèle auquel ils doivent se conformer, se modifier tant que possible, plutôt que de profiter de leurs qualités, de leur difformité même.

Passages retenus

La Bonne est sortie ; l’Élève , tirant sous elle ses jambes, sa serviette sur ses genoux, attend, gentiment ; un petit regard ou deux dans la pièce, sur les meubles, au plafond aussi ; puis elle tire de sa serviette un cahier, qu’elle feuillette, puis s’arrête plus longtemps sur une page, comme pour répéter la leçon, comme pour jeter un dernier coup d’oeil sur ses devoirs. Elle a l’air d’une fille polie, bien élevée, mais bien vivante, gaie, dynamique ; un sourire frais sur les lèvres ; au cours du drame qui va se jouer, elle ralentira progressivement le rythme vif de ses mouvements, de son allure, elle devra se refouler ; de gaie et souriante, elle deviendra progressivement triste, morose ; très vivante au début, elle sera de plus en plus fatiguée, somnolente ; vers la fin du drame sa figure devra nettement exprimer une dépression nerveuse ; sa façon de parler s’en ressentira, sa langue se fera pâteuse, les mots reviendront difficilement dans sa mémoire et sortiront, tout aussi difficilement de sa bouche ; elle aura l’air vaguement paralysée, début d’aphasie ; volontaire au début, jusqu’à en paraître agressive, elle se fera de plus en plus passive, jusqu’à ne plus être qu’un objet mou et inerte, semblant inanimée, entre les mains du Professeur ; si bien que lorsque celui-ci en sera arrivé à accomplir le geste final, l’Élève ne réagira plus ; insensibilisée, elle n’aura plus de réflexes ; seuls ses yeux, dans une figure immobile, exprimeront un étonnement et une frayeur indicibles ; le passage d’un comportement à une autre devra se faire, bien entendu, insensiblement.

Une didascalie (p. 88-89)

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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