
Élites et voleurs, mondes parallèles
Anouilh (Jean) 1938, Le Bal des voleurs [in Le Voyageur sans bagage], Gallimard, coll. Folio, 1958
Résumé
Peterbono et ses deux apprentis sont à leurs basses œuvres dans les rues de Vichy. C’est alors que Lady Hurf reconnaît en Peterbono un prince espagnol qu’elle a connu et l’invite à séjourner chez elle avec ses fils. Cela tombe bien car les deux garçons sont amoureux des deux jeunes filles de la dame. Lord Edgar a bien des suspicions sur l’identité du prince mais sa femme ne l’écoute pas. Mais voilà qu’Eva ne reconnaît plus l’amour qu’elle a d’abord éprouvé pour Hector et Gustave, après avoir déclaré son amour, semble fuir Juliette.
Commentaires
Comédie-ballet en quatre tableaux. Sur une petite intrigue très simple, Anouilh rapproche personnages de l’élite et voleurs ratés.
Par la construction en parallèles, entre le « raté » des voleurs et celui de ces élites blasées, entre les deux histoires d’amour inversées et celle platonique de Lady Hurf et de Peterbono, par l’intervention de personnages secondaires comme la petite fille et surtout les Dupont-Dufort père et fils, Anouilh propose une petite féerie qui rappellera par certains côté celles de Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été par exemple avec ces couples qui se croisent, se cherchent se fuient. D’autre part, les déguisements multiples des voleurs puis ceux pour le bal des voleurs, installent une atmosphère de Carnaval, renversante, où les voleurs semblent presque les plus loyaux et les plus honnêtes.
Passages retenus
LADY HURF. – Je t’ai dit, je suis une vieille carcasse qui s’ennuie. J’ai eu tout ce qu’une femme peut raisonnablement et même déraisonnablement souhaiter. L’argent, la puissance, les amants. Maintenant que je suis vieille, je me retrouve autour de mes os aussi seule que lorsque j’étais une petite fille qu’on faisait tourner en pénitence contre le mur. Et ce qui est plus grave, je me rends compte qu’entre cette petite fille et cette vieille femme, il n’y a eu, avec beaucoup de bruit, qu’une solitude pire encore.
ÉVA. – Je vous croyais heureuse.
LADY HURF. – Tu n’as pas de bons yeux. Je joue un rôle. Je le joue bien comme tout ce que je fais, voilà tout. Toi, tu joues mal le tien ! (Elle lui caresse les cheveux.)
(p. 155)
Petite fille, petite fille, vous serez toujours poursuivie par des désirs qui changeront de barbes sans que vous osiez jamais leur dire d’en garder une pour les aimer. Surtout ne vous croyez pas une martyre ! Toutes les femmes sont pareilles. Ma petite Juliette, elle, sera sauvée parce qu’elle est romanesque et simple. C’est une grâce qui n’est pas donnée à toutes.