
Entre deux chansons paillardes, pour animer la soirée entre amis
divers auteurs, XIIIe-XVe, Fabliaux érotiques, Le Livre de Poche, 1993
édition bilingue, trad. de l’ancien français par Richard Straub et Lucien Rossi.
Résumé
- Anonymes (trad. Richard Straub)
– La Saineresse (La Saigneuse) : une femme de bourgeois veut faire mentir son mari qui se vante de ne pas pouvoir être trompé. Elle fait entrer un homme aux airs de femme pour la saigner.
– La Damoiselle qui sonjoit, qu’un jeune homme venait la prendre dans son sommeil.
– La Damoiselle qui ne pooit oïr parler de foutre, empêchant ainsi son père d’embaucher le moindre domestique. En vient se présenter un qui prétendait lui non plus ne pas supporter le mot. - Jean Bodel (trad. Lucien Rossi)
– Le Vilain de Billuel, dont la femme fâchée qu’il empêchât un rendez-vous galant qu’elle avait avec le prêtre lui fit croire qu’il était mort.
– Gombert et les deus Clers, qui couchèrent chez lui et avaient des vues sur sa femme et sa fille.
– Le Sohait des Vez (Le Songe des vits), son vilain de mari s’étant endormi de trop de vin, la femme se voit en rêve dans un grand marché de vits et de couilles. - Garin, (trad. Lucien Rossi)
– Le Prestre ki abevete (Le Prêtre voyeur), qui fait croire à un vilain qu’il y a un enchantement quand on regarde par le trou de serrure, qu’on voit les personnes en train de baiser
– Les Treces, une femme qui fait croire à son mari que l’amant qu’il a surpris dans leur lit était en fait le veau, qu’il a ensuite battu et coupé les tresses d’un cheval.
– Celle qui fu foutue et desfoutue por une grue, une jeune fille très préservée par sa famille croit faire une bonne affaire en négociant une grue contre un foutre. Voulant réparer son affaire, elle demande au jeune homme de lui rendre son foutre…
– Le Chevalier qui fist parler les cons, rapportant des vêtements dérobés par son écuyer à des fées prenant leur bain, il reçoit le don de faire parler les cons.
– Berangier au lonc cul, une femme dont le mari était un faux chevalier particulièrement lâche, se déguise en chevalier et le défie. - Gautier le Leu, (trad. R. Straub)
– Le Prestre taint, qui fait des avances sans succès à la femme du teinturier, se venge de ses coups à la messe.
– La Veuve, qui profite de la mort de son mari pour rechercher de bons jeunes - Douin de Lavesne (trad. Lucien Rossi)
– Trubert, jeune fils de paysan qui trompe la femme du seigneur en lui vendant une chèvre multicolore peinte contre quelques sous et un foutre, se joue du seigneur en lui vendant à nouveau la même chèvre contre quelques sous et quatre poils de cul…
Commentaires
Les fabliaux réunis ici semblent avoir eu un destin à succès puisque nombre d’entre eux ont été repris par Boccace dans le Décaméron. « Le Chevalier qui fit parler les cons » a même inspiré les Bijoux de Diderot à quelques siècles d’éloignement. On peut penser que les manuscrits circulaient sous cape de clerc, en feuillets placés sous le matelas, aux côtés de la Carmina Burana et du Roman de Renart. Dans certains de ces récits, il y a une part de réalisme assez rare à l’époque du roman de chevalerie (c’est le propre des fabliaux d’être ancrés dans la vie quotidienne, à la différence des contes et romans). Pour comprendre les stratagèmes mis en œuvre par les femmes pour tromper leur mari, il y a une précision du détail qui annoncerait presque les romans policiers. Les récits parodiques que sont le chevalier lâche, celui qui fait parler les cons, et surtout le long « Tubert », gagnent en fait en réalisme en touchant au licencieux, en montrant la naïveté des personnages, leur ridicule, leurs illusions… On toucherait par endroits au Don Quichotte. La naïve qui se fait foutre pour une grue a bien des airs de Quichotte, élevée loin de toute connaissance du monde, des réalités du corps. C’est bien cette caricature de la princesse enfermée dans sa tour élaborées par les romans de chevalerie, qui se maintint à travers les âges. Les récits sont peu poétiques ou excitants en eux-mêmes, ils ne sont pas non plus salaces bien qu’ils ne se refusent pas à parler crûment, on est plutôt dans la rigolade érotique, dans le genre des histoires qu’on se raconte entre amis, accompagnées d’une bonne bière, et avant une bonne chanson paillarde.
Passages retenus
p. 76 :
– Dame, mout estes afouee,
et si avez trop demoré.
Sire, merci por amor Dé,
ja ai je esté trop traveillïé
si ne pooie estre sainïe !
Et m’a plus de cent cops ferue,
tant que je sui toute molue !
N’onques tant cop n’i sot ferir
c’oncques sans en peüst issir !
Par trois rebinees me prist,
et a chascune foiz m’assist
sor mes rains deux de ses peçons ;
et me feroit uns cops si lons,
toute me sui fet martirier,
et si ne poi onques sainier !
Granz cops me feroit et sovent,
morte fusse mon escïent,
s’un trop bon oingnement ne fust :
qui de tel oingnement eüst
ja ne fust mes de mal grevee.
Et quant m’ot tant demartelee,
si m’a aprés ointes mes plaies,
qui mout par erent granz et laies,
tant que je fui toute guerie.
Tel oignement ne haz je mie
et il ne fet pas a haïr !
Et si ne vous en quier mentir :
l’oingnement issoit d’un tuiel,
et si descendoit d’un forel
d’une pel mout noire et hideuse,
mes mout par estoit savoreuse.
p. 145 :
El dormir, vos di sanz mençonge
que la dame sonja un songe,
q’ele ert a un marchié annel.
Ainz n’oïstes parler de tel !
Ainz n’i ot tel estal ne bojon,
ne n’i ot loge ne maison,
changes, ne table, ne repair,
o l’an vandist ne gris ne vair,
toile de lin, ne draus de laine,
ne alun, ne bresil, ne graine,
ne autre avoir, ce li ert vis
fors solement coilles et viz.
Mais de cez i ot sanz raisons :
plaines estoient les maisons
et les chambres et li solier,
et tot jorz venoient colier
chargiez de viz de totes parz,
et a charretes et a charz.
Ja soit ce c’assez en i vient,
n’estoient mie por noiant,
ainz vendoit bien chascun lo suen.
Por trente saus l’avoit en buen,
et por vint saus et bel et gent.
Et si ot viz a povre gent :
un petit avoit en deduit
de dis saus, et de neuf et d’uit.
A detail vandent et en gros,
li plus chier et li miauz gardé.
La dame a par tot resgardé,
tant s’est traveilliee et penee
c’a un estal est asenee
qu’ele en vit un gros, un lonc,
si s’est apoiee selonc.
Gros fu darriere et gros par tot,
lo musel ot gros et estot.
p. 196 :
Li dist : Vaslez, venez tost ça !
Ma norrice se correça
de ce que mon foutre enportastes
et vostre grue me laissastes.
Par amor, venez lou moi rendre ;
Ne devez pas vers moi mesprendre !
Venez, si faites pes a moi !
Ma damoisele, je l’otroi !
Fet li vaslés. Lors monte sus ;
La demoisele giete jus
et entre les janbes li entre,
si li enbat lou foutre el ventre.
Quant ot fet, tantost s’en ala,
mes la grue pas n’i laissa,
ainz l’en a avec soi portee.
p. 244 :
Li chevaliers amoit repos,
il ne prisoit ne pris ne los
ne chevalerie deux auz ;
tartes amoit et flaons chauz,
et mout despisoit gent menue.
p. 340 :
Car je vos di bien de recief
pités de cul trait lent de cief.
Vos qui les dames despités,
sovigne vos de ces pités
que vos sentés a icele eure
qu’ele est desos et vos deseure !
Qui cele dolçor vielt sentir,
bien doit s’amie consentir
grant partie de son voloir,
comment qu’il doive doloir.
Car cil n’est pas gentius ne frans,
qui a cief de fois n’est sofrans ;
car se me feme me dist lait,
se je m’en vois, ele le lait.
Et qui dont le volroit respondre,
Il feroit folie d’espondre.
Encor vient mels que je m’en voise
que je la fiere d’une boisse.