
Radicalité du principe de dignité
Anouilh (Jean), Antigone (1944), La Table Ronde, 1946.
Résumé
Les deux fils d’Oedipe, Étéocle et Polynice, les deux frères, se sont entretués, laissant Créon devenir le nouveau roi. Celui-ci, pour asseoir son autorité, interdit la sépulture à Polynice, le traître qui s’est associé à un peuple ennemi pour renverser le pouvoir de son frère. Antigone se rend sur le lieu du combat et jette une première poignée de terre sur le corps de son frère. Elle est prise. Créon est prêt à étouffer l’affaire, d’autant plus que la jeune femme doit bientôt épouser son fils Hémon.
L’auteur : Jean Anouilh (1910-1987)
Né à Bordeaux d’un tailleur et d’une professeure de piano. Il développe son amour pour le théâtre au lycée Chaptal à Paris. Il y fait notamment la connaissance de Jean-Louis Barrault. Il est particulièrement frappé par la pièce Siegfried de Jean Giraudoux, mise en scène au Poulailler de la Comédie des Champs-Elysées en 1928. Il en apprend le texte par cœur. En 1929-1930, il devient secrétaire général de la Comédie des Champs-Elysées, dirigée alors par Louis Jouvet. Mais ce dernier méprise son employé et ses essais de pièce. C’est à cette époque qu’il s’installe avec la comédienne Monelle Valentin à qui il donnera le rôle d’Antigone.
En 32, ses premières pièces n’obtiennent pas de succès. En 36, Louis Jouvet lui refuse Le Voyageur sans bagage qu’il donne alors au Théâtre des Mathurins et qui obtient un grand succès. Suivent La Sauvage et Le Bal des voleurs mis en scène par André Barsacq et la Compagnie des Quatre-Saisons au Théâtre des Arts.
Pendant la guerre, il est mobilisé, arrêté et libéré sur une erreur. Avec sa famille dans le Béarn, où ils protègent la femme juive de Barsacq. Robert Brasillach aide à la publication de ses pièces. Antigone obtient un immense succès en 44 au théâtre des Arts, montée l’année suivante aux États-Unis. Il fait jouer Michel Bouquet, Jean Vilar, Maria Casarès ou encore Brigitte Bardot… En 56, Pauvre Bitos, critique de la Terreur et de l’épuration, provoque un grand scandale. Il a en 59 un immense succès avec Beckett ou l’Honneur de Dieu qui entre en 71 au répertoire de la Comédie-Française.
Commentaires
Monté pour la première fois au Théâtre de l’Atelier par André Barsacq en 1944.
La différence essentielle avec la pièce de Sophocle vient des motivations des deux protagonistes. Ici, Créon est prêt à contourner sa loi, il ne souhaite pas tuer Antigone car il ne veut pas rendre son fils triste, parce qu’il sait qu’il n’a pas d’intérêt à mettre à mort une princesse aimée du peuple ; il n’a peut-être pas spécialement d’appétence pour la cruauté. Ce qu’il ne peut accepter, et ce qui fait de lui une image du dictateur fasciste, c’est l’obstination d’Antigone, son indiscipline, son refus d’obéir simplement. Il lui propose même un arrangement mais celle-ci refuse. Son opposition à la loi édictée par son oncle doit être totale, ouverte, publique. C’est l’un des principes démographiques, que chacun puisse exprimer publiquement ses positions et ainsi provoquer le débat. C’est aussi un principe anarchiste qui refuse l’autorité de la parole d’une hiérarchie. C’est cet entêtement à la liberté, à l’émancipation, de la part d’une femme, qui force Créon à se révéler violence de dictature.
Passages retenus
p. 38-39 : « HEMON. Nous aurons d’autres soirs, Antigone.
ANTIGONE. Peut-être pas.
HEMON. Et d’autres disputes aussi. C’est plein de disputes un bonheur.
ANTIGONE. Un bonheur, oui… Ecoute, Hémon.
HEMON. Oui.
ANTIGONE. Ne ris pas ce matin. Sois grave.
HEMON. Je suis grave.
ANTIGONE. Et serre-moi. Plus fort que tu ne m’as jamais serrée. Que toute ta force s’imprime dans moi. »
p. 94-95 : « ANTIGONE. Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur ! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte. On dirait des chiens qui lèchent tout ce qu’ils trouvent. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n’est pas trop exigeant. Moi, je veux tout, tout de suite, – et que ce soit entier – ou alors je refuse ! Je ne veux pas être modeste, moi, et me contenter d’un petit morceau si j’ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd’hui et que cela soit aussi beau que quand j’étais petite – ou mourir.
CRÉON. Allez, commence, commence, comme ton père !
ANTIGONE. Comme mon père, oui ! Nous sommes de ceux qui posent les questions jusqu’au bout. Jusqu’à ce qu’il ne reste vraiment plus la petite chance d’espoir vivante, la plus petite chance d’espoir à étrangler. Nous sommes de ceux qui lui sautent dessus quand ils le rencontrent, votre espoir, votre cher espoir, votre sale espoir ! »