
Tu ne te cacheras point dans ton fauteuil
Handke (Peter) 1966, Outrage au public et autres pièces parlées, L’Arche, 1968
Traduit de l’allemand par Jean Sigrid
Résumé
Quatre pièces expérimentales, jouant sur l’intégration du public au jeu dramatique, et permettant d’en penser les effets.
Sommaire
- Outrage au public *** *
- Prédiction *** *
- Introspection ****
- Appel au secours ***
Contenu, commentaires et citations
Outrage au public
Résumé : Un spectacle commence sans décor, sans déguisement. Les acteurs sont là, éparpillés dans la salle ou sur la scène. Ils invectivent le public, lui font remarquer sa passivité, ses attentes prévisibles.
Si l’idée de réétablir le contact direct et réel entre la scène et le public. Le procédé paraît relever de l’exercice de style plus que du spectacle achevé ; le tout tire en longueur, se répète. De plus, Peter Handke insiste sur l’aspect non-fictionnel, sur le refus de jouer, comme si la frontière entre le jeu et la réalité était de coutume si épais, comme si même le refus de jouer n’était pas un spectacle médité et donné à vivre aux spectateurs. On reste dans la fiction car les acteurs n’interagissent pas avec le public. Cependant, ils cherchent à provoquer une réaction interne et physique chez le spectateur par le biais d’une évocation du corps de l’auditeur (cf. la programmation neurolinguistique ou suggestion par la voix).
p. 33 :
Si on vous avait laissés debout, vous seriez peut-être à la longue tentés de nous interrompre. D’après les études anatomiques, un corps debout est capable de plus de violence. Par exemple, vous seriez tentés de serrer les poings. Votre esprit de contradiction se réveillerait. Vous seriez plus libres de vos mouvements. Vous seriez moins corrects. Vous pourriez vous balancer d’une jambe sur l’autre. Vous prendriez conscience de votre corps. Votre sens esthétique serait diminué. Vous ne formeriez plus une masse uniforme. Vous ne seriez plus immobiles. Vous ne seriez plus une parfaite géométrie. Vous seriez incommodés par vos voisins. Vous pourriez manifester votre opinion.
p. 35 :
En parlant avec vous, nous vous rendons conscients de vous-mêmes. […] Vous devenez conscients d’être assis. Vous devenez conscients d’être assis dans un théâtre. Vous devenez conscients de la position de vos jambes et de vos bras. Vous devenez conscients de vos doigts. Vous devenez conscients de votre langue. Vous devenez conscients de votre gosier. Vous devenez conscients de votre tête. Vous devenez conscients de vos organes. Vous devenez conscients du battement de vos paupières. Vous devenez conscients de vos déglutitions. Vous devenez conscients de vos salivations. Vous devenez conscients des battements de votre cœur. Vous devenez conscients de la manière dont vous relevez vos sourcils. Vous devenez même conscients du picotement de votre cuir chevelu. Vous devenez conscients de vos démangeaisons.
Prédiction
Résumé : Des acteurs prononcent tour à tour des séries d’expression construites sur le motif « un X agit comme un X ; Y fait comme un Y ». En fait, ils imaginent un espace ou un temps idéal, un futur où toutes les choses se produiront, comme elles devraient se produire si le monde était parfait, parfait comme le langage cliché l’a enregistré.
Ce petit jeu par la répétition du procédé, vise sans doute à faire prendre du recul par rapport aux clichés de langue, aux lieux communs… Petit exercice de style, plus proche du poème scandé à plusieurs voix, que du théâtre. Mais tout dépend de la mise en scène. On pourrait imaginer des variations de ton, de la gestuelle mimant les phrases, ce qui donnerait une réelle atmosphère… Le texte s’avère vite répétitif même si certains passages jouent sur un jeu de mots ou sur un enchaînement inattendu ou une gradation.
La hyène hurlera comme une hyène.
p. 59
Le gardien de nuit baillera comme un gardien de nuit.
Les conjurés parleront à voix basse comme des conjurés.
Le roseau dans le vent fléchira comme un roseau dans le vent.
L’autruche cachera sa tête dans le sable comme une autruche.
Le rempailleur sera accroupi comme un rempailleur.
La marmotte dormira comme une marmotte.
Le chien crèvera comme un chien.
Et les lapins proliféreront comme des lapins.
Et les bactéries proliféreront comme des bactéries.
Et les pauvres proliféreront comme des pauvres.
Et un homme comme toi et moi sera pareil à un homme comme toi et moi.
p. 63
Introspection
Résumé : Un personnage ou une voix off raconte son expérience sensible et consciente, depuis le début, la mise au monde, jusqu’à son accomplissement en tant qu’homme.
Ce monologue ou One Man Show fonctionne assez bien à l’écrit, on l’imagine moins porté à la scène. En tentant de retracer les premières sensations et en en résumant l’acquis, la conclusion qui sert à l’élaboration progressive d’un homme, Handke trace un joli portrait de la vie humaine. Il en fait comprendre certains rouages secrets, certaines hésitations, complications…
Je me suis persuadé qu’il n’existe pas d’Etre suprême afin de ne pas avoir à le craindre. J’ai cherché l’occasion. Je n’ai pas profité de la chance. Je ne me suis pas soumis à la nécessité. Je n’ai pas compté avec le hasard. Je n’ai pas tiré de leçon des mauvais exemples. Le passé ne m’a rien appris. Je me suis laissé emporter par la vague. J’ai confondu liberté et licence. J’ai confondu honnêteté et imbécillité. J’ai confondu obscénité et talent. J’ai confondu rêve et réalité. J’ai confondu vérité et lieu-commun. J’ai confondu contrainte et devoir d’état. J’ai confondu amour et instinct. J’ai confondu cause et effet. Je n’ai pas réalisé l’unité entre la pensée et l’acte. Je n’ai pas considéré les choses telles qu’elles sont réellement. Je n’ai pas résisté à l’enchantement de l’heure. J’ai fait mine d’oublier que la vie nous est seulement prêtée.
p. 89
Appel au secours
Résumé : Des personnes cherchent à lancer un appel au secours mais ne trouvent pas la bonne expression. A chaque tentative, tout le monde répond non !
Malheureusement, cette mini pièce expérimentale est basée sur la construction de jeux de mots, la traduction rend donc très difficilement compréhensible l’effet, néanmoins l’idée permet de faire participer le spectateur (qui scande avec les acteurs non ou souffle « au secours ! »).
Avez-vous déjà payé votre taxe sur la radio : non. Tu dois rester dehors, c’est un ordre de la police : non.
p. 98