Fahrenheit inversé, dictature des lettres, écrans interdits
Grenier (Christian) 1998, Virus L.I.V.3 ou la mort des livres, Hachette, Le Livre de Poche Jeunesse, 2001
Résumé
Allis, une jeune femme sourde, obtient son entrée à l’Académie des intellectuels grâce à son roman « Des livres et nous ». En fait, le gouvernement des Lettrés lui donne pour mission d’enquêter sur les Zappeurs, terroristes adeptes des écrans interdits. Leur chef, Sonn, a créé un virus très dangereux qui se propage à la lecture des livres : la lecture traditionnelle se transforme en une plongée sensorielle dans l’imaginaire et cela efface le texte parcouru.
Commentaires
Une jolie petite histoire de science-fiction qui se résout dans une belle complémentarité entre l’écran et la lecture, le numérique et l’écriture, symbolisée par le rapprochement entre Allis et le chef aveugle des Zappeurs. Quelques petites inventions marquent ce monde futuriste – comme les hommes-écrans, hommes customisés – mais c’est surtout l’organisation sociale elle-même qui est intéressante avec cette République obsédée des livres, instaurant l’heure officielle de lecture.
L’intrigue se dénoue un peu rapidement mais le virus est suffisamment accrocheur et riche en possibilités pour maintenir en haleine. Et c’est bien ce thème-là qui est réellement intéressant à développer. Qu’est-ce que la lecture ? Quelle différence avec une expérience sensorielle ? Avec l’image ? On pourra comparer avec le classique Fahrenheit 451 de Ray Bradbury, qui représente une inversion du monde ici décrit (interdiction des livres et surprésence des écrans) : traits fascistes, lecture par coeur, lecture sensible ou visuelle, dangers de l’écran…
Ce roman réalise par allégorie le point de vue du jeune accroc aux écrans, opprimé à l’école par la domination des livres. Il l’amène à une réflexion sur la complémentarité, sur la place de ces médiums.
Passages retenus
Un homme-écran, p. 68 :
Ses yeux, je le savais, n’étaient plus que des caméras stéréoscopiques et ses oreilles des micros ultrasensibles. Sa voix, artificielle, était reliée à un puissant ordinateur miniature – un BCBG – implanté à l’intérieur de son cerveau. Sur sa poitrine avait été incrusté un écran à cristaux liquides, sur lequel défilait actuellement un programme aléatoire de clips vidéo. Les hommes-écrans vivaient dans leur monde : branchés en permanence sur leur ordinateur interne, ils n’avaient qu’à puiser parmi les milliers de programmes et de logiciels dont avait été gavée leur mémoire. Ils ne communiquaient plus guère avec le monde extérieur.