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Ramasse tes lettres : Pour vous combattre, de Joseph Andras

L’espoir a duré le temps d’une tragédie

Andras (Joseph) 2022, Pour vous combattre, Actes Sud

Note : 2.5 sur 5.

Résumé

La contre-révolution vendéenne gagne du terrain. À l’Assemblée, après que les Montagnards furent exécutés, malgré des différences de caractère, tout le monde est d’accord sur la ligne dure. Mais lorsque que la révolte est écrasée au Mans, la fracture se creuse entre ligne radicale d’Hébert exprimée dans son journal Le Père Duchesne et celle plus modérée de Camille Desmoulins et de son Vieux Cordelier. Robespierre joue de sa stature pour calmer les esprits, défendant Camille Desmoulins sans pouvoir adopter la position de son ami, car ce serait s’opposer au mouvement même de la Révolution…

Commentaires

Donner vie, corps, sensations, poésie, à un moment historique, Andras s’inscrit dans une tendance au roman historique représentée par Éric Vuillard (La Guerre des pauvres) ou Jérome Ferrari (Le Principe)… Comme eux, Andras utilise cette écriture de l’hypothétique (peut-être que, j’imagine que…), le conditionnel, la modalisation, pour re-matérialiser cette réalité perdue entre les sources sans basculer dans la fiction, pour tenter de trouver le pourquoi. Pourquoi cette dérive de l’élan social, humain, progressiste et démocratique des premières années, par quelle raison incompréhensible le merveilleux bouillonnement intellectuel tourne-t-il à la déraison ? Cette révolution du peuple, cet idéal d’un monde autre qui ne serait plus dominé par les puissants, se voit entaché et décrédibilisé… Comme chez Vuillard, le sujet s’inscrit dans l’histoire des luttes sociales. Mais la Révolution française, la guerre de Vendée et l’emportement de la Terreur, sont des « épisodes » extrêmement connus, étudiés à l’école jusqu’à écœurement et abondamment traités par le cinéma (pensons au superbe Danton de Andrzej Wajda)…

Retrouver la tension des événements, la pression des idées, le charisme et la corporalité des hommes et femmes, c’est retrouver le conditionnement qui a expédié les acteurs au tragique. Le récit se rapproche d’ailleurs des tragédies politiques d’un Corneille, avec ce nœud qui se resserre sur un destin couru d’avance, les numéros du Vieux Cordelier comme un compte non à rebours pour la chute de la guillotine. Le triangle Desmoulins, Robespierre, Hébert, représente ce dilemme même de la révolution, entre appel à l’humanité, à la modération, à la sagesse et détermination politique totale, folie du renversement. Mais peut-être qu’Andras s’est trompé de personnage, se focalisant sur Desmoulins le modéré, le journaliste, l’humaniste, le célèbre (joué par François Cluzet dans l’excellente série documentaire La Révolution française), alors que l’hésitation – et donc la charge de maintenir l’équilibre – est toute entière sur la personne de Robespierre (mais peut-être intouchable, moins transparent…). Le développement d’Hébert, moins connu, restant en arrière-plan, aurait également permis de saisir la pression qui pèse sur l’Assemblée… Andras semble éviter soigneusement le terrain du politique pour rester dans l’humain et sa poésie de marionnette… On a dès lors l’impression d’une succession de tableaux déjà-vus, images d’Épinal, exercices de style sans motivations ni cohérence, passages obligés : boucherie de la guerre, l’écrivain en famille et à sa table de réflexion, l’orateur à l’Assemblée… Le titre sonnait comme appel à reprendre le combat révolutionnaire contre le monde injuste des puissants, de l’argent, du financier, de l’exploiteur, qui ont repris le contrôle, leur routine, aussitôt que les forces démocratiques, humanistes, populistes, ont cessé de s’accorder.

Passages retenus

Exercice de style sur l’horreur de la guerre, p. 46
Un témoin songe en cet instant que l’enfer vomit ses furies : tout ce qui respire crève tout ce qui respire. On ne sait plus ce qu’on tue, pour peu qu’on ne soit pas tué. Bientôt, on croit qu’il pleut du sang. Toute la vie sur Terre paraît avoir été jetée en cet endroit pour disparaître. Voici que l’espèce qui dénicha le verre soufflé, le Sauveur en or sur bois et la grammaire latine en caractères mobiles déchire de ses sabres les seins des femmes et fouille de ses balles le ventre des enfants. Il n’est plus d’humains ni d’animaux, plus de frontière philosophique dressée entre les populations, uniquement des corps en vrac qu’on piétine pour gagner un peu d’air : à peine le visage enfoncé d’un vieil homme se révèle-t-il sous vos pieds qu’il se voit englouti sous la panse ouverte d’un cheval ; à peine se demande-t-on pourquoi un bœuf expire ici qu’un cerveau brûlé vous couvre le visage. À minuit, la ville semble se taire enfin. Puis au matin reprend l’enfer.

Portrait, pompe et image d’Épinal, p. 58
Je ne veux rien inventer – ou seulement, s’il le faut, la couleur des oiseaux. Mais il me plaît d’imaginer Desmoulins, cette journée rendue au regard de la lune, à sa table de bureau. Ses cheveux longs et bruns tombent sur ses épaules et au devant, barbouillant son visage d’ombres légèrement mobiles. Une bougie tremble. Autour de lui, les livres dominent l’espace. Rousseau et Montesquieu figurent en œuvres complètes sur les étagères ; ses écrits invendus s’entassent les uns sur les autres ; des gravures content, aux murs, la démocratie qui s’invente jour après jour. Une surprenante démocratie, certes : on refait le monde sans la moitié qui le compose. En tout révolutionnaire un homme semble veiller au grain.



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Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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