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Ramasse tes lettres : Le Rêve de l’oncle, Dostoïevski

Derrière les mariages d’ambition, les petites lâchetés, le commérage provincial, n’y a-t-il pas, tout autant que chez les nobles et chez les pauvres, des hommes et des femmes qui luttent pour exister ?

Dostoïevski (Fiodor) 1855-1859, Le Rêve de l’oncle, Actes Sud, Babel, 1999

Traduit du russe par André Markowicz (Diadiouchkin son).

Note : 3.5 sur 5.

Résumé

Dans la petite ville de Mordassov, Maria Alexandrovna est la grande dame de la bonne société, détestée et crainte. Sa fille Zina reste son seul souci. Elle est magnifique mais reste non-mariée à 23 ans. On sait que Zina a eu une aventure avec son ancien professeur… Elle repousse sans non définitif les propositions de Pavel Alexandrovitch Mozgliakov, amoureux mais un peu sot. Pourtant, c’est une grande opportunité de sauver son honneur. Voilà qu’un matin le jeune homme amène avec lui un lointain parent, un vieux prince de très haute lignée et de grande fortune, ancien coureur et viveur un peu fou, déjà un pied dans la tombe…

C’est un demi-défunt ! C’est seulement un souvenir d’homme ; on a juste oublié de l’enterrer ! il a des yeux démontables, des jambes de liège, il est entièrement monté sur ressorts, et c’est sur des ressorts qu’il parle !

p. 33

Commentaires

À origine vraisemblablement pensé pour le théâtre (comme La femme d’un autre et le mari sous le lit), ce récit conserve de nombreux éléments d’art dramatique dont les nombreux jeux de scène (personnages écoutant derrière la porte, complicité entre personnages pour rire avec le spectateur aux dépends d’un troisième, code pour commander à distance les mouvements et paroles du mari…), le quasi respect des trois unités, les personnages stéréotypés (l’amoureux transis, la fille intègre, la mère machiavélique, le mari ridicule, la vieille fille…), les vêtements-costumes, les mouvements-poses et les chutes du prince (comme un personnage de la Commedia à la retraite, ou bien une marionnette de guignol cassée)… Une exagération qu’on devine comme une illustration de la prétention vaine de ces mégères provinciales.

Il est possible de deviner dans cette farce une transposition caricaturale des propres aventures de mariage de Dostoïevski (moqué) dans la petite ville de Semipalatinsk où il est forcé de servir comme soldat (après sa période de bagne). Maria Dimitrievna, qui devient sa femme en 1856 pendant l’écriture de ce roman, a des points communs avec la mère et la fille (la mère de famille telle qu’elle est, à l’aise socialement, intrigante, même prénom, un mari fonctionnaire à la réputation indésirable… la jeune femme telle qu’il l’idéalise : belle, cultivée, musicienne, malheureuse à arracher de la boue provinciale ; elle fut amoureuse d’un jeune professeur local avant d’accepter la demande de l’écrivain…). Dostoïevski peut se retrouver tant dans le jeune Pavel Alexandrovitch (portant prénom et patronyme du fils de Maria et de son premier mari…), soldat originaire de Saint-Pétersbourg, prétendant insistant, moqué par une ambitieuse, dandy verbeux… que dans le vieux prince K. qui représente une aubaine de mariage (Dostoïevski attend alors que ses droits de noblesse lui soient rendus, se sent sans doute vieux et cassé après le bagne…), ou même que le jeune professeur malade.

On est proche d’une comédie de mariage à la Molière sauf que les choses sont inversées : la jeune à marier et sa protectrice sont celles qui veulent forcer le mariage d’intérêt et tromper le vieux riche pervers. La mère est une peste machiavélique et son projet immoral. La jeune fille est bien loin d’être si innocente… En cela, leur ascension reposant sur l’intrigue sociale et la manipulation des hommes, pourrait être posée en symétrique du Bel-Ami de Maupassant. Quelque chose empêche de les condamner tout à fait, quand on considère la médiocrité ambiante du petit monde provincial, de rumeurs et de jugements, dont elles veulent s’extirper. Il y a bien eu un mariage d’amour empêché et un mariage malheureux dans le cas de la mère, qui influencent l’avant-texte des personnages et motive donc les moyens immoraux mis en œuvre. On suit le projet de mariage du point de vue de la mère (omniprésente « sur scène »), celle qui pouvait être accusée le plus fortement, et donc la plus difficile à relever, on la voit dans toute sa duplicité et également dans sa sincérité, de mère et de femme exaspérée, toujours semblant se battre. Aucun des personnages n’est spécifiquement bon ni mauvais, mais tous sont lourds de leurs sensibilité, de leurs faiblesses, de leurs fautes passées, de leurs ambitions, de leurs petites tricheries et de leur bêtise. Les personnages investissent toute leur vie dans l’action lamentable dans laquelle ils sont pris. Prenant le chemin inverse de la distanciation de Brecht, Dostoïevski nous amène au plus près de chaque personnage, de ses pensées et ses motivations qui s’expriment dans un flot de parole – souvenir de l’ambition théâtrale – et lui permettent sa rébellion contre son sort de caricature sociale trop facilement jugée, et l’expression de toute son épaisseur d’être humain.

Un prince est un prince même en guenilles.

p. 35

Passages retenus

p. 150
La tyrannie est une habitude qui se transforme en besoin.

p. 220
Sa vieille mère qui, pendant toute une année, et presque jusqu’à la toute dernière heure, avait attendu la résurrection de son petit Vassenka, avait enfin compris qu’il ne pourrait plus vivre en ce bas monde. Elle se tenait devant lui, tuée par le chagrin, les bras croisés, sans larmes, elle le regardait, ne pouvait pas détacher les yeux de lui, et malgré tout, n’arrivait toujours pas à comprendre, même si elle le savait, que, d’ici quelques jours, son trésor, son Vassia, serait recouvert d’une terre gelée, là, sous les congères, dans le cimetière des pauvres.

p. 223
C’est bien que tu ne m’aies pas épousé ! Je n’aurais rien compris de tes sacrifices, je t’aurais torturée, je t’aurais mise au supplice avec notre pauvreté ; les années auraient passé, – tu parles ! – peut-être, même, je t’aurais prise en haine, comme un obstacle dans ma vie. Maintenant, c’est mieux ! Maintenant, au moins, les larmes d’amertume m’ont purifié le cœur.

p. 225
Tout meurt, Zinotchka, tout, même les souvenirs !… Mêmes nos sentiments nobles, ils meurent. Après, on devient raisonnable. A quoi bon protester ! Profite de ta vie, Zina, vis une longue vie, une vie heureuse. Aimes-en un autre, si tu le rencontres, – tu ne vas quand même pas aimer un mort !

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Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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