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Ramasse tes lettres : Paul Morand, L’Homme pressé

Roman expérimental d’un homme qui devance l’emballement du monde

Morand (Paul) 1941, L’Homme pressé, Le Livre de Poche, 1963

Note : 4 sur 5.

Résumé

Pierre Nioxe, antiquaire, n’a pas de temps à perdre. Son associé, son domestique, son chat… l’ont abandonné car ils ne pouvaient plus supporter son empressement. Quand Hedwige, seconde fille de la mère Bonne Rosebois vient le rencontrer à propos de l’achat qu’il a fait d’une propriété qui appartenait à son père, il a évacué tout siège et ouvert grand les fenêtres pour qu’elle n’ait aucune envie de faire durer la conversation. Mais cette jeune fille d’une famille aux humeurs lentes, aux manières lascives, très attachée à son petit refuge chez maman, va lui plaire.

[Le temps qui s’écoule en attendant les femmes.] Ce doit être une source d’eau salée, soupire-t-il, gonflée de toutes les larmes de ceux qui ont attendu.

p. 173

Commentaires

Portrait en mouvement d’un homme que serait en plein accord avec le rythme effréné de la modernité, le personnage de Pierre provoque, par son impatience devant la disfonctionnalité du monde, des scènes hilarantes comme la chaîne des trois taxis hélés par lui, par son domestique et par le concierge (n’ayant pu attendre ceux qu’il avait fait commander par l’un puis par l’autre) ; la visite au pas de course de l’immense musée du Louvre avec semée de ses trois accompagnatrices (sa femme et ses soeurs, abandonnant tour à tour, épuisées) ; les restaurants où le personnage va se servir lui-même et où il commence le repas par le fruit ; les carnages dans le jardinet (les plantes asphyxiées à l’engrais) ; les techniques de pointe américaines pour faire accoucher sa femme en 7 mois seulement… Seulement, dans le passage à l’acte, il décidera d’être lent. Faut-il croire que le rythme moderne nous rend ridicule et impuissant ? Le motif de l’homme pressé permet à Morand de formidables effets de style qui rappellent par certains emportements ceux de Céline. Le tableau caricatural n’est ni pitoyable, ni cruel, simplement drôle et solide, exagéré mais vraisemblable, dans les manies du personnage.

On peut voir le roman comme une comédie de mœurs à la façon de Molière (ou La Bruyère) critiquant un défaut de caractère en l’incarnant dans un personnage. Mais si Morand fait rire de l’absurdité des situations qui résultent du comportement de son personnage, il ne le condamne pas moralement : c’est un peu comme si celui-ci était juste un cobaye, un homme qui bien volontiers essayerait de se plier à la vitesse que voudrait nous imposer ce nouveau monde, comme une expérience pour montrer que l’homme n’est pas fait pour cela (selon les principes du Roman expérimental de Zola – on pose un personnage avec un profil donné dans un contexte donné et on écrit ce qui va logiquement se passer). La vitesse et le gain de temps ne sont pas ici liés à l’argent, mais plutôt à une obsession d’être en phase avec le monde, l’innovation, les progrès techniques… On rejoint là certaines considérations de Günther Anders dans L’Obsolescence de l’Homme, sur la honte de l’homme devant la perfection des machines, l’inadaptation de l’homme face à l’emballement technologique (ayant toujours un train de retard et ne pouvant donc que se sentir défaillant), la question de savoir si un progrès est désirable ou non quant aux changements qu’il va provoquer dans les modes de vie… si il est désirable ou non que l’homme s’adapte à ce monde de vitesse et d’innovation technologique.

– Avez-vous l’espérance de l’au-delà ? Parlez-vous avec Dieu ?
– J’estime qu’après m’avoir joué le tour de me mettre au monde c’est à Lui à me faire signe le premier.

p. 12

Passages retenus

Mégalopole, lieu idéal d’expérimentations humaines, p. 17 :
Paris, ville d’ancien régime, est une excellente station klimatérique pour l’observation des êtres, car, comme toutes les vieilles capitales, il est le refuge des opprimés de la sensibilité, des déserteurs du règlement et des infirmes du temps présent. Pourquoi Paris a-t-il, chez nous, une telle renommée ? Parce que c’est une cité d’orages nerveux et de tumulte moral. Voilà, monsieur, où il faut affirmer qu’est sa profondeur, à cette ville qu’on dit superficielle et qui a inventé tant de vices et de styles.

La volonté du moi de s’étendre, p. 206 :
L’enfant encore invisible est sans cesse présent entre eux ; expression de cet impérialisme du moi inconscient et forcené qui nous pousse toujours à étendre nos frontières de chair, il exalte Pierre, excite son impatience passionnée. « Finira-t-il par naître, pense-t-il, ce paresseux, ce troglodyte ? Pour l’instant, il se retire comme un ermite « sentant sa vie (et non sa mort) prochaine » ».

Le piège de l’espoir, p. 252 :
C’était une sorte de défaite heureuse à laquelle il adhérait pleinement. Il possédait le vrai désespoir, c’est-à-dire cette absence totale d’espoir qui apporte la résignation et la paix, non ce violent regret bien à tort baptisé désespoir où se dissimule encore une ombre d’espoir, juste ce qu’il faut pour prolonger notre résistance et nos atroces soubresauts.

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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