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Ramasse tes lettres : La Disparition, Georges Perec (roman)

Quand la perte favorise le foisonnement

Perec (Georges) 1969, La Disparition, Gallimard, coll. « L’Imaginaire », 2010

Note : 3.5 sur 5.

Résumé

Anton Voyl n’arrivant plus à dormir, il fait son roman. Puis il disparaît. Amis, flics partout s’agitant pour lui, ont compris qu’il avait appris un truc important, mauvais. Mais voilà disparition sur disparition qui font complication.

Commentaires

Roman basé sur la contrainte d’une absence de lettre « e » (figure appelée dans le jargon stylistique « lipogramme »). Comme le paragraphe que je propose en guise de résumé le montre, cette contrainte a pour objectif de forcer l’écrivain à peser chaque mot, à ne pas se laisser aller à un style passe-partout, à des expressions ordinaires, qui lui glisseraient par la plume, pour éviter la phraséologie ordinaire (les expressions toutes faites, entendues et répétées, qu’on a l’habitude de dire dans tel ou telle circonstance sans reconstruire la modalisation de sa phrase – l’appréciation de la fidélité des mots et de l’expression par rapport à l’intensité de ce qu’on veut exprimer -, cf. Culioli, Linguistique de l’énonciation) et à faire preuve d’ingéniosité dans la construction de ses phrases. La contrainte est également censée développer l’imagination. Les histoires parallèles et complémentaires se multiplient pour enrichir une intrigue policière finalement peu développée et assez basique.

De par sa contrainte, le style est très particulier, parfois difficile à suivre, parfois drôle et surprenant. Le roman s’ouvre après une introduction, sur un jeune homme ayant du mal à s’endormir, peut-être un clin d’œil à son roman précédent, Un homme qui dort. Désormais proche de Queneau et de l’Oulipo, Perec tire une modernité littéraire, un plaisir du jeu sur la langue et une grande fantaisie de ces contraintes. Un peu comme chez Queneau, l’histoire devient de plus en plus farfelue, et la langue de Perec commence à accepter le recours à la faute d’orthographe, au mot étranger. Comme il le fera pour Les Revenentes (roman où est uniquement utilisé la voyelle « e »), ces licences se multiplient avec l’avancée du roman tout comme se multiplient les histoires parallèles et criminelles, les morts (la pornographie dans le livre basé sur le « e »).

Mais toujours comme chez Queneau, le plaisir de jeu l’emportant souvent sur la cohésion du récit, Perec s’égare ou égare son lecteur assez facilement sur des difficultés, des digressions fantaisistes ayant un lien peu évident, ne respectant pas en cela la règle exprimée par Baudelaire au sujet des nouvelles de Poe : que votre premier pas soit déjà écrit en fonction de la chute à préparer et que chaque autre pas soit une préparation de celle-ci. Cette formule, il la reprend lui-même (cf. citation), mais ne semble l’appliquer qu’à la forme, moins au fond. Ce n’est plus l’effet désiré par l’écrivain mais la contrainte génératrice qui tend l’ensemble et donne l’exigence de l’écriture.

Le roman perd vite son intérêt, après quelques chapitres, en termes d’histoire racontée et de cohérence d’ensemble. Mais chaque chapitre est davantage une relance du plaisir d’écriture, du jeu de l’écriture, comme si plusieurs participants d’un atelier d’écriture partageaient chacun à leur tour leur petit texte. Si certains critiques ont voulu y lire une allégorie politique de la disparition du militant Mehdi Ben Barka, organisateur altermondialiste de la Tricontinentale, et proche du Ché, la disparition de la lettre E symboliserait plus volontiers la perte de l’Essentiel pendant la Seconde Guerre, à savoir ses parents (il dédie d’ailleurs W ou le souvenir d’enfance « pour E »).

Passages retenus

Il y a là, pour moi, quasi la Loi du roman d’aujourd’hui : pour avoir l’intuition d’un pouvoir imaginatif sans limitation, allant jusqu’à l’infini, s’autonourrissant dans un surcroît colossal, dans un jamais vu allant toujours croissant, il faut, sinon il suffit, qu’il n’y ait pas un mot qui soit fortuit, qui soit dû au pur hasard, au tran-tran, au soi-disant naïf, au radotant, mais, qu’a contrario tout mot soit produit sous la sanction d’un tamis contraignant, sous la sommation d’un canon absolu !

p. 217

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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