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Imaginez la scène : Knock, de Jules Romains

Et si le médecin pouvait contrôler le monde ?

Romains (Jules) 1923-1924, Knock ou Le triomphe de la médecine, Gallimard, Folio 1972

Pièce en trois actes.

Note : 3.5 sur 5.

Résumé

Le docteur Parpalaid reçoit le jeune novice Knock, afin de lui vendre son cabinet et sa clientèle. Il lui vante la facilité des clients, toujours en bonne santé, et les bénéfices étonnants qu’il peut en tirer. Bien cher pour une petite ville de campagne…
Mais Knock n’est pas un médecin bourgeois ordinaire. En quelques semaines, il va diffuser l’inquiétude de la maladie, créer le besoin de médecine dans toute la région…

Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous chatouille, ou est-ce que ça vous gratouille ?

Acte II, scène I

Commentaires

Avec une surprenante clairvoyance, Jules Romain met en scène la grande dérive de la médecine, décrite et analysée par le philosophe Ivan Ilich (La Convivialité), près de cinquante ans plus tard… Le service de santé, la médecine, progrès insoupçonnable, se transforme en marchandise ressentie comme nécessaire alors que superflue. C’est le passage d’une bourgeoisie marchande vendant cher ses produits ou services pour en tirer des bénéfices, au capitalisme moderne créant le besoin chez le consommateur, comme le dealeur fait naître la dépendance à son inutile produit. La marchandisation des médicaments par l’industrie pharmaceutique est bien-sûr souvent dénoncée mais le mérite est d’attaquer le médecin lui-même, figure pourtant respectable parmi les sages.
Avec cette pièce, l’auteur fait le lien avec les célèbres comédies de Molière et ses critiques du médecin et de son aura sociale qui fait que les malades, par peur de la mort, lui mangent dans la main, aussi bête, charlatan ou intéressé qu’il soit. La connaissance du patient sur son corps, sa parole et celle de ses proches, la médecine traditionnelle, sont niées, méprisées au nom d’une autorité scientifique reconnue (ce qu’Illich considère comme appropriation par un groupe social, par le biais du diplôme, d’un domaine de connaissance qui concerne pourtant tout le monde). Ici, la parole du malade est même utilisée pour identifier ses besoins : Knock écoute en bon médecin humaniste mais pour mieux manipuler (psychologie du publicitaire). Le remplacement du médecin Parpalaid par Knock est comme une passe d’armes entre le médecin bourgeois – celui de Molière, de Flaubert – et un certain médecin capitaliste du XXe siècle, qui s’immisce dans les choix de mode de vie et de consommation des individus, les contrôlant par le chantage à la santé. À la manière du Tartuffe de Molière, Jules Romains ne critique pas tous les médecins mais son personnage est l’incarnation d’un envahissement du pouvoir médical dans la société, une dénonciation de ces faux médecins qui se servent de l’argument pieux de la santé.
Si le personnage principal n’est pas appelé « docteur Knock » par l’auteur, mais simplement « Knock », c’est sans doute qu’il n’en mérite plus le titre. « to knock » en anglais signifie frapper, cogner. Par sa rhétorique malicieuse, Knock fait entrer, pénétrer l’inquiétude et l’enfonce profondément comme un clou dans la moelle de ses patients-clients. Knock est un personnage machiavélique et bien plus immoral que le bourgeois intéressé. Comme un marabout, un sorcier, le gourou d’une secte, comme une institution religieuse, il fait naître une croyance et une dépendance chez les gens qu’il est en charge de protéger. Il les manipule par les peurs : peur de la mort, peur de tomber malade, peur de la douleur physique, peur de ne pas bénéficier de quelque chose à quoi ils ont droit, la santé, les performances du corps, peur de louper une occasion, emploi ou rencontre amoureuse, peur de ne pas être un gagnant, de ne pas apparaître en forme, peur d’être rejeté… Illich remarque que se soigner, être en forme, en profitant de la médication dernier cri, est devenu une obligation sociale (votre employeur vous en voudra de rester cloué au lit deux semaines pour une grippe si un médicament vous permet d’être opérationnel en deux jours). La peur est une arme de manipulation, celle de la parole autoritaire. Knock utilise à son avantage l’hôtel voisin, vampirise la ville et ses politiques. Il se tourne pour la suite de sa conquête carriériste vers la grande ville de Lyon… D’une manière similaire, l’argument de la santé publique est devenu une arme des gouvernements pour faire passer des mesures politiques idéologiques et faire obéir les peuples : qu’on pense évidemment aux questions des pandémies et à l’état d’exception qui en découle, mais plus encore au chantage perpétuel à la Sécurité sociale, à la retraite… Pour préserver notre chère solidarité nationale, donc votre bonne santé, il faut absolument…

Passages retenus

Acte I, scène unique :
KNOCK
Il y a une vingtaine d’années, ayant dû renoncer à l’étude des langues romanes, j’étais vendeur aux « Dames de France » de Marseille, rayon des cravates. Je perds mon emploi. En me promenant sur le port, je vois annoncé qu’un vapeur de 1700 tonnes à destination des Indes demande un médecin, le grade de docteur n’étant pas exigé. Qu’auriez-vous fait à ma place ?
LE DOCTEUR
Mais… rien, sans doute.
KNOCK
Oui, vous, vous n’avez pas la vocation. Moi, je me suis présenté. Comme j’ai horreur des situations fausses, j’ai déclaré en entrant : « Messieurs, je pourrais vous dire que je suis docteur, mais je ne suis pas docteur. Et je vous avouerai même quelque chose de plus grave : je ne sais pas encore quel sera le sujet de ma thèse. » Ils me répondent qu’ils ne tiennent pas au titre de docteur et qu’ils se fichent complètement de mon sujet de thèse. Je réplique aussitôt : « Bien que n’étant pas docteur, je désire, pour des raisons de prestige et de discipline, qu’on m’appelle docteur à bord. » Ils me disent que c’est tout naturel. Mais je n’en continue pas moins à leur expliquer pendant un quart d’heure les raisons qui me font vaincre mes scrupules et réclamer cette appellation de docteur, en conscience, à laquelle je n’ai pas droit. Si bien qu’il nous est resté à peine trois minutes pour régler la question des honoraires.
LE DOCTEUR
Mais vous n’aviez réellement aucune connaissance ?
KNOCK
Entendons-nous ! Depuis mon enfance, j’ai toujours lu avec passion les annonces médicales et pharmaceutiques des journaux, ainsi que les prospectus intitulés « mode d’emploi » que je trouvais enroulés autour des boîtes de pilules et de flacons de sirop qu’achetaient mes parents.

Acte II, scène V :
LA DAME
Vous me rassurez, docteur. J’en avais besoin. Vous ne sauriez croire quels tourments me donne la gestion de mes quatre sous. Je me dis parfois qu’il me faudrait d’autres soucis pour chasser celui-là. Docteur, la nature humaine est une pauvre chose. Il est écrit que nous ne pouvons déloger un tourment qu’à condition d’en installer un autre à la place. Mais au moins trouve-t-on quelque répit à en changer. Je voudrais ne plus penser toute la journée à mes locataires, à mes fermiers et à mes titres. Je ne puis pourtant pas, à mon âge, courir les aventures amoureuses – ah ! ah ! ah ! – ni entreprendre un voyage autour du monde. Mais vous attendez, sans doute, que je vous explique pourquoi j’ai fait queue à votre consultation gratuite ?
KNOCK
Quelle que soit votre raison, madame, elle est certainement excellente.

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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