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Ramasse tes lettres : Le Hussard bleu, Roger Nimier

Paroles de soldats désabusés et désorientés

Nimier (Roger) 1950, Le Hussard bleu, Gallimard, Folio,

Note : 3 sur 5.

Résumé

Le XVIe régiment des Hussards est engagé dans la guerre de libération et de reconquête, jusqu’en Allemagne. Plusieurs membres, du troufion au général, nous font tour à tour, régulièrement leurs confidences sur cette guerre de fin de guerre qui progresse. Le jeune Saint-Anne, bleu naïf, blond séduisant d’innocence, se lie d’amitié avec le plus expérimenté Sanders, ancien de la débâcle de 40, désillusionné du patriotisme de 40. Les Français ont gagné et peuvent maintenant profité des femmes de leurs ennemis.

Commentaires

Grâce au subterfuge d’une succession de confessions prises comme à chaque fin de semaine (un peu à la manière aujourd’hui du confessionnal seul face à la caméra dans les émissions de télé-réalité), Nimier retrouve avec les voix des soldats, les expressions, leur crudité et leur franc-parler, une esthétique littéraire de l’oralité qui fait le lien avec celle de ses aînés (Céline, Morand, Giono ou encore Barbusse). Plus encore, cette dispersion de la prise en charge du récit permet de faire assumer par différents personnages des positions politiques, des actes et des paroles grossières. L’ensemble des récits, de celui du soldat éclairé (Sanders qui représente l’auteur et son recul sur la guerre), du soldat jeune et naïf (Saint-Anne qui représente l’auteur à l’époque de son engagement dans les Hussards) et des autres soldats et généraux, lui permet de tourner autour d’une réflexion sur les idéaux qui étaient les siens et ceux d’une génération pendant l’occupation et sous Vichy, et qui ont été balayés et détruits par la libération. Il semble que l’idéologie patriotique, de droite, discréditée, se soit changée en une parole cynique et un nihilisme évident qu’on trouvait déjà chez Drieu la Rochelle (dans le Feu-follet) et bien-sûr chez Céline, qu’on retrouvera dans le groupe des Hussards.
Si le ton, la parole libérée, crue et drôle du soldat, les événements intimes et inassumables de la guerre (aventures avec les allemandes, viols, persécutions) donnent une richesse intéressante au roman, la syntaxe demeure plutôt classique et c’est la pointe cynique qui l’emporte, non la recherche d’un style, d’un souffle, d’un rythme particulier. De plus, le récit morcelé est parfois difficile à suivre, sans réelle coordination. La place de la question des femmes ou de l’amour l’emporte sur les questions de l’identité du soldat, sa position politique, son quotidien… Il ne reste donc que ces humains un peu cassés, caractères endurcis mais paumés, grandes gueules sans repère, dont l’humour crasseux et machiste sert de poétique.

Passages retenus

p. 19 : « Quand les habitants de la planète seront un peu plus difficiles, je me ferai naturaliser humain. En attendant, je préfère rester fasciste, bien que ce soit baroque et fatigant. »
p. 20 : « Il suffit de se pencher, on aperçoit son visage. C’est l’autre côté du visage, il faut le comprendre. Il est sombre, bien-sûr, et triste. Mais il ne s’ennuie pas. Il veille sur nos plaisirs et nos malheurs. Il les couve d’un œil qui sait tout à l’avance. Si nous lui jetons une pierre parce que nous sommes fâchés de son assurance, eh bien, ça ne fait rien. Les rides l’entourent comme une auréole de raison et de vertu. »
p. 91: « La gare K. est décharnée, ses verrières en loques, les rails d’une laideur désolante. Voilà l’injustice. Plus on saccage la nature, plus elle est naturelle. Des arbres coupés, des maisons brûlées, des trous, des rivières débordantes, tout ce débraillé lui va bien au teint, comme dirait cet imbécile que je n’écoute plus. »
p. 94 : « Je pleure d’être venu si loin pour voir que rien n’a changé. Il y a des élèves qu’on appelle hussards et des pions au visage d’adjudants, des professeurs munis d’une cravache. Chaque peloton est une classe. Après l’heure où on épluche les pommes de terre, il y a celle où l’on tue des Allemands. Ainsi l’histoire succède-t-elle à la philo. Ça ne manque pas de spectacles. Tout est à voir et à retenir et à bien décrire ; ainsi, aujourd’hui, le sujet de la composition n’est-il pas : « vous entrez dans une ville ennemie. Quelles sont vos impressions ? » Eh bien je n’ai pas d’impressions, je n’entre pas dans une ville ennemie, mais à Saint-Malo ou à Beauvais. J’y retrouve des visages bien connus. Une habitude m’attendait encore pour me prendre par la main et me faire traverser cette vie-là. Le monde ressemble affreusement au monde. »
p. 96 : « Je songe soudain que la guerre est une époque heureuse pour les enfants car les grandes personnes commencent à les imiter. Chacun reçoit une panoplie, se déguise en soldat. On détruit les maisons comme les châteaux de sable. On se bat, on se bouscule, on s’endort au hasard, on ne sait pas où l’on est. »
p. 237 : « Je lui ai demandé ce qu’il pensait de moi. C’est le meilleur moyen de séduire les hommes. Ils sont tellement étonnés, soudain, de penser à quelque chose, que votre image, dans leur esprit, reste liée au souvenir d’un vrai miracle. »
p. 253 : « Je ne suis pas idiot. Moi aussi, je trouve qu’il ne faut pas aimer les personnes qu’on ne connaît pas. C’est impoli, c’est défendu pour mille raisons et c’est ennuyeux. Je ne suis pas timide. Si j’étais devant elle, dans un salon, je saurais lui parler. Je l’obligerai à me répondre en amie. Elle serait mon amie, je n’en demande pas plus. Je me moque du reste. L’amour devient empoisonnant dès qu’il faut se déshabiller, s’embrasser, c’est trop de sueur et de salive à la fois. […] Je ne la vois que du ciel, noire au milieu de la neige. A côté d’elle, mes yeux sont énormes ; avec deux doigts, je la cache entièrement : elle tiendrait dans la paume de ma main. Elle tient dans le creux de mon cerveau. Il est vrai qu’il est assez creux.
[…] Car l’espoir, comme un animal imbécile, vient chercher sa nourriture tous les soirs. JE fais des projets. Je veux parler à Isabelle. Je veux qu’elle m’aime à son tour. Voilà qui est franchement criminel.
Naturellement, mes projets n’ont pas de sens. Ils sont fabriqués pièce par pièce. C’est un beau jeu de constructions, qui permet de rêver tranquillement. La catastrophe n’est jamais à craindre. Dans cette liberté réside le charme.
Une heure par semaine, je suis franc et j’avoue que cet amour imaginaire est le seul qui me convienne. […] Je comprenais que le métier d’amant n’est pas facile. C’est une chose comme la guerre, la banque, l’industrie. On peut y entrer sans étude, mais il faut travailler dur et, surtout, ne jamais abandonner.
Cependant, l’amour a quelque chose pour lui. Il résume le monde en un visage. A dix-huit ans, quand on a pas beaucoup de mémoire, il est tentant de prendre ce visage entre les mains et de l’embrasser. Mais c’est très fragile. On risque à tout instant de passer de l’autre côté. Alors on possède une maîtresse, une liaison ; de nouveaux devoirs s’imposent à vous ; on se trouve aussi faible et démuni qu’auparavant.
Dans la situation où je l’avais placée, Isabelle me fascinait sûrement. Ses yeux grands, clairs, lourds peut-être, hantaient mes confessions. Les pêchés imaginaires que j’avais commis avec elle donnaient du mouvement à son regard. »
p. 355 : « Deux jours plus tard, nous étions en Italie. Un pays heureux où les maisons sont blanches, les paysans flemmards. Quelle chic race, tu sais ? Et puis un soleil neuf… invraisemblable. Nous avons trouvé des oranges, des filles brunes qui faisaient l’amour en riant sans arrêt. Dans leurs cheveux, c’étaient les vacances. »

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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