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Arrache ta science : Le parler ordinaire des ghettos, de William Labov (ling, socio)

Un parler méprisé et pourtant diablement adapté

Labov (William) 1972, Le parler ordinaire (La langue dans les ghettos noirs des Etats-Unis), Minuit, coll. Le Sens commun, 1996

Traduit de l’anglais (US) par Alain Kihm (Language in the Inner City : studies in the black English vernacular)

Note : 5 sur 5.

Résumé

Labov cherche à comprendre l’échec scolaire des jeunes noirs issus du ghetto – particulièrement dans les compétences d’écriture et de lecture. On analyse souvent cet échec en constatant une trop grande différence de la langue vernaculaire à la langue standard – comme si elles constituaient deux systèmes différents. Pourtant les variantes qu’elle propose ne sont pas si spectaculaires. De plus ces variantes qu’on constate dans les enregistrements lors d’enquêtes peuvent disparaître ou s’atténuer lorsqu’on rentre dans l’intimité de ces classes sociales – dans un contexte apaisé. En fait, l’usage du parler vernaculaire a un but de reconnaissance identitaire, par ses pairs. Or, plus le groupe social s’éloigne du cadre scolaire, plus le langage et ses marques d’identité, de variation, sont importantes. Et plus les personnes cherchant à appartenir à ce groupe imposent ce vernaculaire en dehors de leur groupe.
Le vernaculaire possède d’autres fonctionnalités que le langage standard. Tant les insultes rituelles que la syntaxe marquée, directe, sans détour, dénotent une plus grande manifestation de l’émotion et donc une plus grande force, un charisme. En réalité, les chefs de bande, les leaders de groupe, sont souvent experts en langue vernaculaire, mais tout aussi capables de manier le langage standard.

Commentaires

Ainsi, l’échec scolaire des noirs des ghettos, ne fait que manifester l’affrontement social existant en dehors du langage mais se manifestant en son sein. Constatant d’abord l’erreur manifeste de la majorité des enquêteurs qui ne se rendent pas compte que le contexte de leurs études – placer la personne qui fait usage de langue vernaculaire et est en situation d’échec dans une position de sujet à analyser en dehors de son milieu – est erroné. C’est le paradoxe de l’enquêteur : il crée une réaction diaphasique (d’ordre émotif) sur la production du locuteur observé (celui-ci change sa manière de parler) ; et il crée une situation de conversation artificielle et peut difficilement enregistrer sans prévenir les locuteurs observés (problème éthique).
Comme Labov l’avait déjà observé sur l’île de Martha’s Vineyard, l’usage d’une variante langagière « forte » est souvent motivée par un besoin de revendication identitaire, d’appartenance à un groupe social. C’est donc souvent volontairement que l’on use de variantes de réalisation. Par refus de changer son identité, de s’adapter à une classe sociale qui nous refuse ou qu’on refuse.
Allant même plus loin que dénoncer les mauvaises observations de ses pairs quant au langage vernaculaire, quant à l’échec scolaire de classes sociales – à quoi on cherche d’autres raisons qui ne sont seulement que le fait d’appartenir à une classe sociale en conflit avec la classe dominante donc ceux qui en sont les représentants : intellectuels, professeurs, journalistes… Ce constat pourrait se poursuivre dans une observation des choix politiques, dans le rejet moderne par les basses classes du savoir intellectuel, même celui qui leur est a priori favorable, dans le goût pour les thèses complotistes, dans le renforcement et l’affirmation de leur classe identitaire (communautarisme, radicalisation, racisme, nationalisme…).
Labov va encore plus loin en faisant l’éloge du parler des ghettos : efficacité, maîtrise de codes complexes… En fait, il rapproche cette variation diastratique (sociale) d’une autre variation personnelle (diaphasique). La langue vernaculaire n’est qu’une variante utile de la langue standard. Son usage répond à des besoins sociaux particuliers. La familiarité, la franchise, l’affirmation de soi dans un groupe d’amis, dans une famille… Tout cela est plus facile avec la langue vernaculaire (parler ordinaire), avec une langue non surveillée. Ainsi, les noirs du ghetto usent et abusent du parler vernaculaire parce que leur vie est également faite d’une majorité de situations où leur parler vernaculaire répond idéalement à leurs besoins.

Passages retenus

Le regard habituel sur la langue des enfants des ghettos, p. 111 :
Voulant expliquer les mauvais résultats obtenus par ces enfants, les psychologues scolaires se sont efforcés de découvrir de quels désavantages ils pouvaient bien souffrir. Le point de vue qui a finalement rallié la majorité et sur lequel se sont fondés les programmes d’intervention est qu’ils présentent en fait un déficit culturel, dû à la pauvreté de l’environnement qu’ils ont connu dans leurs premières années. On a beaucoup insisté, en particulier, sur le rôle du langage. Dans ce domaine, la théorie du déficit s’est traduit par un concept : celui de privation verbale. Les enfants noirs du ghetto, dit-on, ne sont guère stimulés verbalement et entendent peu de phrases bien formées, d’où résulte un appauvrissement de leurs moyens d’expression verbale. Ils sont incapables de prononcer des phrases complètes, ils ignorent les noms des objets courants, ils ne savent pas former de concepts ni communiquer de pensées logiques.

Forte culture de la langue dans les ghettos, p. 112-135 :
Ce que nous voyons, c’est un enfant baignant du matin au soir dans les stimulations verbales, c’est une compétition permanente au niveau de la démonstration de ces arts verbaux que sont les « vannes », les chansons, les épopées orales qui constituent autant d’activités de langage grâce auxquelles l’individu peut se forger un statut (…) Bref, nous ne parvenons pas à distinguer le moindre lien entre, d’une part, l’habileté verbale qui se manifeste au travers des actes de parole caractéristiques de la culture des rues, et, d’autre part, les succès scolaires.

L’efficacité et la puissance de la langue des ghettos, p. 112-135 :
Nos propres travaux sur la communauté linguistique rendent évident un fait qui peinera certains : aux plans de la narration, du raisonnement et de la discussion, les membres de la working class apparaissent par bien des aspects comme des locuteurs plus efficaces que beaucoup de membres de la middle class qui ergotent, délaient et se perdent dans une foule de détails sans importance.

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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