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Ramasse tes lettres : Sonate à Bridgetower, d’Emmanuel Dongala (roman historique)

Et la susceptibilité effaça un jeune prodige noir de l’histoire

Dongala (Emmanuel) 2017, La Sonate à Bridgetower (Sonata Mulattica), Actes Sud, Babel

Note : 4 sur 5.

Résumé

George Bridgetower est un petit prodige du violon. Il a appris au contact du maître Haydn chez le prince d’Autriche, là où son père, un noir de la Barbade, servait. Ce père a beaucoup d’ambition pour son fils et l’emmène à Paris où une révolution se prépare… Peut-être devront-ils partir plus rapidement que prévu à Londres, ville où le père avait débarqué, de nombreuses années auparavant…
Plus tard, il devient l’ami de Beethoven qui écrit pour lui la sonate n°9…

Commentaires

Ce roman historique permet de faire apparaître certaines réalités méconnues de l’histoire des noirs en Europe. Et oui, au temps de la Révolution, on pouvait trouver en Europe des Noirs et des métis qui pouvaient même appartenir à la haute ou très haute société – ici dans le milieu de la musique. L’auteur se fait également plaisir en évoquant l’actualité historique de la Révolution, le Londres de ces années… Il en profite pour donner quelques précisions au sujet de l’esclavage des Irlandais, parfois plus violent encore avant l’arrivée des Noirs plus costauds, et de l’esclavage des noirs par les populations arabes qui empêchaient systématiquement la reproduction de leurs esclaves en émasculant les hommes, ce qui leur permet d’éviter aujourd’hui les reproches des communautés noires – leur participation au commerce humain étant difficilement estimable… Bien que pas expert en musique, Emmanuel Dongala cherche à faire ressentir à quelques occasions l’effet de ces grands concerts auxquels son protégé à pu prendre part. Il s’amuse également à rendre vivantes quelques figures historiques comme le puritain Haydn, l’irascible Beethoven…
L’intérêt historique est une chose, mais le roman tire avant tout son énergie du caractère que Dongala confère à son petit héros : amoureux à Paris, décidé et rebelle à Londres – là où son père retrouve l’envie d’un combat radical pour les Noirs –, admiratif et mature à Vienne. D’autre part bien-sûr, Dongala rend justice à un homme noir surdoué oublié d’une histoire de la musique classique vue comme culture exclusivement blanche.

Passages retenus

Paris peu avant la Révolution, p. 118 :
Un beau soleil l’accueillit lorsqu’il quitta le bureau contrat en main et sortit dans la rue. Il était dans un état d’euphorie. En ce moment précis, le monde était tel qu’il le voulait, tel qu’il l’avait rêvé. Un étrange sentiment de gratitude envers cette ville de Paris monta en lui ; il en humait l’air à plein poumons et se demandait si on pouvait faire sentir à une ville qu’on l’aimait, qu’on avait le désir de la prendre dans ses bras. Oui, il aimait Paris, ses larges artères bordées de palais, ses parcs et jardins, et même les venelles tortueuses parmi lesquelles il s’était égaré un jour pendant qu’il cherchait une maison clandestine qu’on lui avait recommandée ; malgré les mendiants qui l’avaient assailli et quelques malandrins qui avaient tenté de l’interpeller, la main ferme sur le pommeau de son sabre, il avait continué son chemin dans ces rues mal famées auxquelles il trouvait malgré tout un attrait singulier.

Contrôle des noirs, p. 132 :
[La police des noirs] était chargée d’interdire l’entrée des Noirs en France car l’on estimait qu’il y en avait déjà trop dans le royaume. Quant à ceux qui y vivaient, elle était chargée de contrôler s’ils séjournaient légalement dans le pays en s’assurant qu’ils portaient bien leur cartouche, un étui métallique contenant un certificat portant le nom, l’âge, la profession ainsi que le nom du propriétaire de la personne si elle était esclave. Et on renvoyait d’office celles qui n’en avaient pas vers les colonies d’où ils étaient censés provenir.

Séduction par la musique, p. 142 :
Qui ne connaissait pas l’air le plus populaire [Il pleut, il pleut bergère…] de Paris en ce moment ? Il ne l’avait jamais joué mais ce n’était pas un problème. Il attaqua. Mathilde n’attendit pas longtemps avant d’être emportée, et se mit à accompagner la musique en chantant. À la fin du morceau, George ne s’arrêta pas, il entama un air de rigaudon, vif, gai. Mathilde, enchantée, sauta de la table et se mit à danser. George enchaîna aussitôt avec une gigue qu’il exécuta sur un tempo rapide. Il jouait en se déplaçant autour de Mathilde, tenant son violon tantôt à hauteur de sa tête, tantôt sur sa poitrine, à l’envers ou encore droit à la manière d’un violoncelle, en se tordant dans des positions incroyablement acrobatiques. Mathilde, émerveillée, enjouée, dansait, dansait, tourbillonnait en battant des mains pour marquer les temps forts de la mesure. Et lorsque George, après avoir tiré les derniers sons de l’instrument et s’être incliné de façon délibérément clownesque, se releva et ouvrit largement ses bras, Mathilde s’y précipité spontanément, caressant ses cheveux frisés et moutonnants qu’elle trouvait étranges et attirants. Il la serra à son tour, l’écrasant contre sa poitrine. Un frisson étrange mais agréable le parcourut. C’était la première fois de sa vie qu’il serrait une fille dans ses bras.
Au bout d’un moment, Mathilde s’écarta de lui et le visage rayonnant lui dit :
– Jamais dans ma vie quelqu’un n’a joué rien que pour moi. Je n’oublierai jamais. Je te remercie vraiment, George.
Elle planta un petit baiser sur les lèvres de George et s’éloigna.

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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