
Le nez de l’intégrité baroque
Rostand (Edmond) 1897, Cyrano de Bergerac, Larousse, 1985
Résumé
Cyrano interrompt une représentation de Phèdre à l’Hôtel de Bourgogne, alors qu’est apparu sur scène Montfleury, gras acteur qui a osé séduire sa cousine Roxane dont il est secrètement amoureux. Mais la belle est amoureuse du jeune Christian qui a rejoint la compagnie de Cyrano. Cyrano promet à son amie de ne pas se battre avec le jeune et l’aide même en écrivant des poèmes et lettres pour séduire la femme qu’ils aiment.
Commentaires
Avec le personnage de Cyrano, Edmond Rostand tient un caractère fort et source d’inspiration pour des joutes verbales et des scènes animées, les duels et le soufflage au jeune amoureux. Il est évident que les autres personnages manquent clairement de relief, ce qui amoindrit la pièce tout en faisant de Cyrano un personnage hors-normes qui seul tient le verbe, l’honneur, l’amour… Si la naïveté du jeune Christian et sa médiocrité sont bienvenues, la Roxane trop longtemps sous l’illusion du subterfuge paraît bien fade avant que la mort de son amant ne la pousse à une retraite et enfin à une plus grande clairvoyance.
La composition des vers de Rostand n’est peut-être pas celle des plus grandes pièces de Racine, Corneille, Musset ou Hugo, mais elle fait mouche dans ce registre héroï-comique inspiré de la période baroque dont Cyrano est sans doute l’un des plus grands symboles, personnage hors norme qui se gonfle et s’embellit de ses défauts mêmes (le baroque des XVIe et XVIIe notamment au siècle d’or espagnol est caractérisé par un mélange des genres, par une esthétisation du laid, par une domination de l’inspiration sur le travail, représenté en France par Théophile de Viau, plus gros best seller du siècle, vite effacé de l’histoire par l’idéologie du classicisme français). Il est regrettable cependant de ne pas rappeler que Cyrano fut un grand prosateur (Voyage dans la Lune) et épistolier mais qu’il ne laissa que de rares poésies.
Passages retenus
Le nez, Acte I, scène 4 :
Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme !
On pouvait dire… Oh ! Dieu !… bien des choses en somme…
En variant le ton, – par exemple, tenez :
Agressif : « Moi, monsieur, si j’avais un tel nez,
Il faudrait sur-le-champ que je me l’amputasse ! »
Amical : « Mais il doit tremper dans votre tasse !
Pour boire, faites-vous fabriquer un hanap ! »
Descriptif : « C’est un roc ! c’est un pic ! c’est un cap !
Que dis-je, c’est un cap ?… C’est une péninsule ! »
Curieux : « De quoi sert cette oblongue capsule ?
D’écritoire, monsieur, ou de boîte à ciseaux ? »
Gracieux : « Aimez-vous à ce point les oiseaux
Que paternellement vous vous préoccupâtes
De tendre ce perchoir à leurs petites pattes ? »
Truculent : « Çà, monsieur, lorsque vous pétunez,
La vapeur du tabac vous sort-elle du nez
Sans qu’un voisin de crie au feu de cheminée ? »
Tendre : « Faites-lui faire un petit parasol
De peur que sa couleur au soleil ne se fane ! »
Acte I, scène 5 :
Qui j’aime ?… Réfléchis, voyons. Il m’interdit
Le rêve d’être aimé même par une laide,
Ce nez qui d’un quart d’heure en tous lieux me précède ;
Alors, moi, j’aime qui ?… Mais cela va de soi !
J’aime… mais c’est forcé !… la plus belle qui soit !
Acte II, scène 8 :
Eh bien, oui c’est mon vice.
Déplaire est mon plaisir. J’aime qu’on me haïsse.
Mon cher, si tu savais comme l’on marche mieux
Sous la pistolétade excitante des yeux !
Comme, sur les pourpoints, font d’amusantes tâches
Le fiel des envieux et la bave des lâches !
Vous, la molle amitié dont vous vous entourez,
Ressemble à ces grands cols d’Italie, ajourés
Et flottants, dans lesquels votre cou s’effémine :
On y est plus à l’aise… et de moins haute mine,
Car le front n’ayant pas de maintien ni de loi
S’abandonne à pencher dans tous les sens. Mais moi,
La Haine, chaque jour me tuyaute et m’apprête
La fraise dont l’empois force à lever la tête ;
Chaque ennemi de plus est un nouveau godron
Qui m’ajoute une gêne, et m’ajoute un rayon :
Car, pareille en tous points à la fraise espagnole,
La Haine est un carcan, mais c’est une auréole !
Acte III, scène 10 :
Un baiser, mais à tout prendre, qu’est-ce ?
Un serment fait d’un peu plus près, une promesse
Plus précise, un aveu qui veut se confirmer,
Un point rose qu’on met sur l’i du verbe aimer ;
C’est un secret qui prend la bouche pour oreille,
Un instant d’infini qui fait un bruit d’abeille,
Une communion ayant un goût de fleur,
Une façon d’un peu se respirer le cœur,
Et d’un peu se goûter, au bord des lèvres, l’âme !
Un avis sur « Zyeute en coulisses : Cyrano de Bergerac, par Edmond Rostand (théâtre) »