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Ramasse tes lettres : Handmaid’s Tale (Servante écarlate), de Margaret Atwood (roman)

Dans les affres du fantasme machiste

Note : 4 sur 5.

Margaret Atwood 1985, Handmaid’s Tale, Toronto, éd. McClelland & Stewart

titre français : La Servante écarlate

Résumé

Offred est la servante reproductrice du Commandeur, elle va aussi parfois faire les courses avec la servante d’une autre famille, à qui elle n’ose dire un mot. Au mur apparaissent parfois les corps morts des hommes et femmes qui n’ont pas respecté les lois du régime. Offred se souvient presque difficilement comment les choses ont commencé. Elle avait un mari aimant, une petite fille, une mère et des amies. À la suite de multiples crises écologiques, un coup d’État a eu lieu et les femmes, prétendument pour les protéger, ont été arrêtées et regroupées dans un gymnase pour une reprogrammation, pour leur attribuer de nouvelles fonctions.

Commentaires

Roman de science-fiction dystopique concrétisant une utopie machiste par excellence : la femme surprotégée n’ayant plus aucun droit, nul besoin d’instruction, nul droit à l’embellissement du corps par le vêtement ou le maquillage (sauf les prostituées), statut plus ou moins enviable selon si elle peut servir à la reproduction, si elle est jeune ou vieille, si elle sert un homme important ou non. La femme devient ainsi l’esclave de l’homme. Atwood mentionne la rumeur fausse d’attentats islamiques qui auraient servi à amener le coup d’État. Le parallèle avec le cliché de la femme esclave de la société musulmane (faiblesse dépendante d’un homme, coupable de provoquer le désir de l’homme…) est évident et en même temps, Atwood s’amuse car ce conservatisme misogyne provient ici du cœur de la société libérale américaine, dénonçant ce machisme latent, cette libération féministe peut-être trop illusoire pour atteindre les profondeurs de l’inégalité.

L’homme, est presque absent du roman : l’ancien mari disparu qui semble presque séduit par cette société naissante ; le Commandeur qui s’ennuie en réalité de cette vie et de l’abêtissement de la femme mais jouit de son statut de petit chef ; le jardinier homme à tout faire qui seul semble garder une once d’humanité mais pourrait servir également à donner des enfants à la place du Commandeur. Mis à part ce dernier, l’homme paraît comme sous influence, inconscient de ce qu’il fait, materné, dépendant de ces femmes qu’il a asservies. Par ailleurs le régime paraît soutenu principalement par les femmes elles-mêmes qui – à l’instar des esclaves de maison comparés aux esclaves des champs de canne – qui trouvent dans la domination même de toute leur catégorie sociale le plaisir d’être supérieurs et de dominer, le pouvoir. Ainsi, comme dans le sous-genre des films de femmes en prison, la tension dramatique joue avec les fantasmes érotiques de sadisme et de masochisme, fantasme de domination (avoir tout pouvoir sur l’autre, même de vie et de mort), de soumission, fétichisme, voyeurisme…

Le récit est resserré sur l’expérience intime, à la première personne, du personnage d’Offred. Cela crée un sentiment d’étouffement, d’isolement total dans une société de dénonciation. Si la vie elle-même de la jeune femme est plutôt sans événement, les flashbacks incessants concernant la vie d’avant, la fuite, le lavage de cerveau dans le gymnase, les rendez-vous interdits avec l’amie Moira (destin en latin)… Chaque petite prise de risque crée une nouvelle tension. Tension comparable à l’enfermement, prison existentielle qu’est cette nouvelle vie d’Offred qui ne s’échappe que dans les souvenirs et dont l’avenir n’est qu’un pis aller.

L’auteure fait surgir une poésie de ce surgissement presque aléatoire de récits, de souvenirs, d’émotions, de réflexions, illustrant bien le fait que le personnage a perdu la maîtrise de son existence. Le discours féministe surgit également sans qu’on l’attende, par exemple dans ce passage sur la difficulté pour la narratrice de trouver des mots pour témoigner fidèlement de l’expérience traumatique vécue (cf. citation plus bas), qui fait écho aux affaires de viol, à tout témoignage féminin toujours difficilement reçu par la police ou par la société, aux questions difficiles du pardon (la femme doit accorder son pardon pour que la société continue) et de l’acceptation par la société d’une certaine violence faite aux femmes. Mais chaque passage du récit peut être relu et analysé au regard de l’inégalité fondamentale qui détermine la femme dans ses pensées, ses actions, ses sentiments, sa faiblesse, ses désirs…

Tout le récit prend ainsi des allures d’une grande allégorie, réflexion cachée ou technique de rhétorique, visant à faire comprendre la position de la femme, non dans une société autoritaire ou conservatrice, mais dans notre société actuelle. Le monde décrit dénonce cette tentation de la domination, le besoin d’esclaves toujours renouvelé de nos sociétés (les prisonniers de guerre dans l’antiquité, les bagnards, les noirs, les enfants, les prisonniers politiques des goulags, les ouvriers, les animaux et bien-sûr les femmes qui ici sont réutilisées pour l’extraction de minerais comme le sont les enfants en Afrique). Cette dystopie réalise et rend absurde le discours machiste, en en faisant ressortir les contradictions et les fantasmes cachés, comme le ferait l’ironie socratique. Elle montre les fragilités de notre société soi-disant humaniste et démocratique, qu’un déséquilibre comme une crise climatique ou le manque de ressources (énergies, minerais, eau…), pourrait faire écrouler et faire ressurgir et légitimer ces régimes autoritaires iniques dont nous nous sentons si loin.

Passages retenus

Raconter une histoire, p. 49 :
I would like to believe this is a story I’m telling. I need to believe it. Those who can believe that such stories are only stories have a better chance.
If it’s a story I’m telling, then I have control over the ending. Then there will be an ending, to the story, and real life will come after it. I can pick up where I left off.
It isn’t a story I’m telling.
It’s also a story I’m telling, in my head, as I go along.
Tell, rather than write, because I have nothing to write with and writing is in any case forbidden. But if it’s a story, even in my head, I must be telling it to someone. You don’t tell a story only to yourself. There’s always someone else.
Even when there is no one.
A story is like a letter. Dear you, I’ll say. Just you, without a name. Attaching a name attaches you to the world of fact, which is riskier, more hazardous : who knows what the chances are out there, of survival, yours ? I will say you, you, like an old love song. You can mean more than one.
You can mean thousands.
I’m not in any immediate danger, i’ll say to you.
I’ll pretend you can hear me.
But it’s no good, because I know you can’t.

Le manque d’amour, p. 109 :

I’m not frightened. We’re wide awake, the rain hits now, we will be slow and careful.
If I thought this would never happen again I would die.
But this is wrong, nobody dies from lack of sex. It’s lack of love we die from. There’s nobody here I can love, all the people I could love are dead or elsewhere. Who knows where they are or what their names are now ? They might as well be nowhere, as I am for them. I too am a missing person.
From time to time I can see their faces, against the dark, flickering like the images of saints, in old foreign cathedrals, in the light of the drafty candles ; candles you would light to pray by, kneeling, your forehead against the wooden railing, hoping for an answer. I can conjure them but they are mirages only, they don’t last. Can I be blamed for wanting a real body, to put my arms around ? Without it I too am disembodied. I can listen to my own heartbeat aigainst the bedsprings, I can stroke myself, under the dry white sheets, in the dark, but I too am dry and white, hard, granular ; it’s like running my hand over a plateful of dried rice ; it’s like snow. There’s something dead about it, something deserted. I am like a room where things once happened and now nothing does, except the pollen of the weeds that grow up outside the window, blowing in as dust across the floor.

La vraie emprunte de la souffrance, p. 131 :
But who can remember pain, once it’s over ? All that remains of it is a shadow, not in the mind even, in the flesh. Pain marks you, but too deep to see. Out of sight, out of mind.

Difficulté du témoignage, devoir et pouvoir de pardonner, p. 140 :
When I get out of here, if I’m ever able to set this down, in any form, even in the form of one voice to another, it will be a reconstruction then too, at yet another remove. It’s impossible to say a thing exactly the way it was, because what you say can never be exact, you always have to leave something out, there are too many parts, sides, crosscurrents, nuances ; too many gestures, which could mean this or that, too many shapes which can never be fully described, too many flavours, in the air or on the tongue, half-colours, too many. But if you happen to be an man, sometime in the future, and you’ve made it this far, please remember : you will never be subjected to the temptation of feeling you must forgive, a man, as a woman. It’s difficult to resist, believe me. But remember that forgiveness too is a power. To beg for it is a power, and to withhold or bestow it is a power, perhaps the greatest.
Maybe none of this is about control. Maybe it isn’t really about who can own whom, who can do what to whom and get away with it, even as far as death. Maybe it isn’t about who can sit and who has to kneel or stand ot lie down, legs spread open. Maybe it’s about who can do what to whom and be forgiven for it. Never tell me it amounts to the same thing.

p. 143 :
But to refuse to see him could be worse. There’s no doubt about who holds the real power.
But there must be something he wants, from me. To want is to have a weakness. It’s this weakness, whatever it is, that entices me. It’s like a small crack in a wall, before now impenetrable. If I press my eye to it, this weakness of his, I may be able to see my way clear.

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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