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Ramasse tes lettres : Mèmed le mince, de Yaşar Kemal (roman)

L’épopée des bandits des montagnes contre les grands propriétaires

Note : 4 sur 5.

Kemal (Yaşar) 1955, Mèmed le mince, Gallimard Folio, 2003

traduit du turc par Guzine Dino (titre original : İnce Memed)

Résumé

Dans la province d’Adana, district de Kozan, dans les montagnes reculées, Abdi agha maintient une domination féodale sur ses cinq villages. Mèmed et sa mère subissent sa loi et cultivent durement les champs envahis par les chardons. Quand Abdi donne la fiancée de Mèmed à son neveu, Mèmed fuit avec la jeune fille. Ali le Boiteux le piste malgré lui pour Abdi, Mèmed tire sur Abdi agha et son neveu. Il se fait bandit des montagnes sous le nom de Mèmed le Mince.

Commentaires

Plus qu’un roman, Mèmed le Mince raconte une épopée, celle des bandits des montagnes turques, héros des villages contre les grands propriétaires cherchant à exploiter les pauvres. Mèmed, en quelque sorte le Robin des bois des montagnes, sera le héros de nombres d’autres volumes de Kemal. Cette histoire tient de la légende orale, de l’épopée, à l’instar de L’Iliade : les exploits de Mèmed semblent embellis et les méfaits de ses ennemis grossis, comme rapportés par une rumeur populaire colportée par les chanteurs des rues ; de plus, certains personnages semblent avoir des aptitudes spéciales comme la ruse, la protection, le flair…

Mais en même temps que la légende d’un personnage hors-normes, le récit de Kemal met en scène de vrais paysans, sur un ton simple et léger. Il en fait sentir le langage, la rudesse… dans un décor rocheux, coloré. C’est toute une poésie de la montagne, ses habitants qui lèvent haut leurs pieds quand ils marchent pour éviter de buter contre une caillasse, poésie qu’on pourra rapprocher du roman de Jean Giono, Le Chant du monde.

À partir d’un traumatisme premier, le combat personnel de Mèmed le force à sortir de la norme, à devenir un hors-la-loi. Il se réfugie dans les plateaux inaccessibles et y réunit autour de lui les autres bandits des montagnes, à la manière de Robin des bois, mais aussi comme les esclaves marrons ou les serfs Cosaques Zaporogues. Il mène la bande et par son combat et ses larcins contre les riches propriétaires, il devient le héros des paysans maltraités, injustement exploités, et lutte quelque part pour qu’ils se réapproprient leurs terres, et donc reprennent le contrôle d’un arrière-pays décadent, proie des affamés d’argent. Les grands propriétaires sont une figure qui se retrouve tant chez les propriétaires d’esclaves et de serfs que chez les propriétaires d’usine et les grands empires commerciaux aujourd’hui. Le combat des bandits des montagnes entre ainsi en écho avec ce monde moderne où les résistances populaires contre le pouvoir du capital trouve ses assises dans les villages néo-ruraux anarchistes, sur les rond-points des petites villes, chez les zadistes ou dans les zones abandonnées par l’industrie comme Détroit. Mèmed est ainsi le représentant des paysans révoltés contre l’injustice, figure des révoltes populaires, comme Spartacus, Boukman et la Cérémonie du Bois-Caïman en Haïti, le Jacques Bonhomme des Jacqueries, Gavroche et le peuple de Paris, Lantier et les mineurs de Germinal. Kemal touche par la terre des montagnes dures à la politique concrète sans jamais faire de récit à thèse et rompre le fil poétique de l’histoire.

Passages retenus

p. 153 :

Quand Mèmed prit en main le bol de soupe chaude, il se rappela la soupe qu’il avait mangée des années auparavant, devant la même cheminée, grelottant comme en ce moment. Il était seul, alors. Il avait peur. Il avait peur de tout. La forêt avançait vers lui. Il avait peur. A présent, il était courageux, décidé. Le monde s’était ouvert, agrandi. Il savourait la liberté. Il ne se repentait pas du tout de ce qu’il avait fait.


p. 233 :

L’être humain, c’est comme ça, on ne sait pas ce qu’il cache en lui !


p. 274 :

Iraz n’écoutait même pas. Son regard était vide. Un regard pétrifié. Elle ne cillait pas. Elle avait un air pire que celui des aveugles ; même dans le regard des aveugles, on saisit un désir de voir.


p. 287 :

S’il y a mensonge, c’est le mensonge des autres que je répète.

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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