
La révolte paysanne qui fut empêchée
Pochon (André) 2001, Les Sillons de la colère (La malbouffe n’est pas une fatalité), La Découverte, 2006
L’auteur : André Pochon (1931-)
Paysan breton ayant participé dans les années 60 à la création des CETA, groupes de réflexion et de mise en commun paysanne, qui aboutit à la création des coopératives bretonnes, du Crédit agricole, de la FNSEA… Période qualifiée de « révolution agricole ».
Ayant d’abord été séduit par les évolutions industrielles des années 70, André Pochon revient en arrière, aux techniques des années 60, rappelant en 96 dans La Prairie temporaire à base de trèfle blanc ces techniques qui avaient révolutionné la productivité française : rotation annuelles des cultures entre cultures potagères, cultures céréalières, et prairie de trèfle blanc pour les bovins ; récupération du fumier pour alimenter la terre… Il s’engage alors dans une dénonciation radicale du système industriel.
Résumé
Dans les années 60, une révolution des techniques paysannes était à l’oeuvre, grâce à une organisation nouvelle des paysans qui échangeaient leurs idées dans des groupes de discussion comme les Ceta, qui s’organisaient en coopératives et créaient le Crédit agricole… Cette révolution permettait alors une très forte hausse de la productivité, un abaissement du temps de travail avec par exemple une rotation de terres : parcelle d’abord pour les légumes puis céréales puis trèfle blanc destiné aux bovins puis de nouveau culture de légumes ; la crème du lait des bovins destinée aux porcs, importation du modèle danois de porcherie sur lits de paille balayés par l’air, compost… Les campagnes se portaient alors bien, les paysans gagnaient en temps de loisir, en potentiel d’emploi et en attractivité.
Comment l’agriculture industrielle, à partir des années 70, s’est installée, a dominé et écarté les autres modes de production agricole dont cette révolution paysanne ? Elle a usurpé la réussite de la révolution antérieure avant de pervertir tous ces éléments.
De grandes firmes américaines ont proposé et imposé le modèle maïs/soja (pour nourrir les bêtes) – limier (le modèle hollandais sur béton pour les porcs). Les prix dérisoires de ces cultures subventionnées et poussées par une intense promotion se sont très vite imposées.
Ce nouveau modèle a d’abord entraîné le recours à une irrigation intense (pour le maïs-soja peu adapté à la terre française), à une accumulation de couches d’engrais et d’herbicides, l’usage de compléments alimentaires pour les animaux (car les nouveaux aliments étaient incomplets contrairement aux pâturages traditionnels).
Nécessitant ainsi de nombreux intrants, le nouveau modèle agro-industriel enrichissait fortement de nombreux industriels qui ont peu à peu gagné de l’influence dans les organisations et syndicats paysans.
La Politique agricole commune (PAC) de l’Europe et les ministères de l’agriculture, séduits par ce modèle qui dynamisait l’industrie, se sont mis alors à subventionner ce modèle.
Les subventions européennes récompensent et poussent alors à un agrandissement des exploitations (plus d’hectares = plus de subventions), et donc à une plus grande mécanisation des exploitations, à une densification des élevages…
Les primes à l’exportation ont même pendant un temps soutenu une surproduction qui partait déstabiliser les productions locales d’Afrique ou autre pourtant très bon marché…
Les scandales alimentaires et écologiques qui se sont par la suite et jusqu’à récemment, succédé, en sont les conséquences directes (algues vertes en Bretagne, eaux polluées, vache folle, violence des porcs qu’on assomme d’antibiotiques et de calmants…).
Chaque fois, les responsabilités sont plus qu’évidentes, mais la remise en cause d’un modèle aberrant ne se fait pas. Les responsables de l’agro-business étouffent les affaires, se débarrassent d’une petite partie du problème en le détournant sur une nouveauté industrielle peut-être encore plus dangereuse (OGM…), influencent et forcent la main des ministres de l’agriculture des gouvernements successifs, qui continuent dans cette voie du tout industriel.
Pour arranger ce système, il serait pourtant facile d’en revenir aux techniques qui précédaient l’arrivée du modèle américain subventionné, et qui avaient déjà fait leurs preuves pour produire et nourrir suffisamment. Les problèmes écologiques et alimentaires qui y sont liés seraient vite apaisés. Pour cela, il faudrait avant tout supprimer les subventions qui sont avantageuses pour les grands exploitants agricoles (car proportionnelles à la taille) et les redéployer équitablement sur chaque exploitation et surtout favoriser les nouvelles installations qui respectent les normes d’une agriculture durable (peu d’intrants, rotation des terres pour les renouvellements des sols, réutilisation des déchets organiques et déjections comme fumier…). Ce nouveau système favoriserait aussi l’emploi détruit par la mécanisation.
Commentaires
Explication historique limpide de la prise de pouvoir des industriels, de quelques scandales comme la vache folle. André Pochon insiste immédiatement sur le fait que le productivité ne vient pas de l’industrie mais de techniques et d’organisations qui existaient avant celle-ci. Il laisse l’image d’un immense gâchis et surtout l’impression que les paysans se sont fait entuber, tout comme la société entière, par ces industriels qui ont créé des techniques et des besoins inutiles, de plus en plus, pour grossir un secteur industriel qui brille de son dynamisme au détriment de la plus grande partie de la société, de campagnes vides… qui a la mainmise sur la production et la consommation, qui a trop de pouvoir pour être dévié politiquement, qui se fait passer pour le sauveur d’une démographie oppressante et affamée, quand elle ne fait qu’empoisonner, appauvrir et déséquilibrer toute une société qu’elle envoie droit dans le mur…
La supercherie paraît énorme, l’aberration du système évidente, les solutions simples et pourtant… L’auteur se veut positif mais ne parvient au final qu’à horrifier et révolter un peu plus, pas forcément à initier un nouveau mouvement.
Passages retenus
Sans parler des tempêtes, des inondations, dont la violence a été aggravée par l’arasage intempestif des talus et des haies, par les terres nues entre deux récoltes de maïs-fourrage, par les drainages des zones humides. Ces paysages saccagés sont les tristes symboles de cette démesure agricole. Et c’est aussi notre cadre de vie, qui fait notre joie de vivre, qui est ainsi brisé. L’agriculteur, façonneur et gardien du paysage au cours des siècles passés, en est devenu le principal destructeur, encouragé et subventionné pour accomplir ce forfait. Parfois de façon invisible : la terre nourricière, sa terre, est en sursis, à cause de la disparition de l’humus dans les zones de grande culture spécialisée, à cause de l’accumulation des métaux lourds comme le zinc ou le cuivre contenus dans les lisiers, à cause de l’accumulation des phosphates aussi. Où est passé ce bon sens paysan qui faisait entretenir ce patrimoine en – bon père de famille – ? L’eau, la terre, l’air dégradés par l’agriculture industrielle, c’est l’équilibre géologique ancestral qui est rompu par des techniques brutales qui ont fait fi des lois agronomiques les plus élémentaires. Tout cela signe la faillite du système au plan environnemental.
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