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Crache ton cerveau : Droit à la paresse, Lafargue (philo)

La paresse est un temps révolutionnaire, celui de la réflexion sur soi et sur le monde

Lafargue (Paul) 1880, Le Droit à la paresse, Allia, 2016

Note : 3.5 sur 5.

Résumé

Après 1848, les révolutionnaires ont accepté une loi limitant le travail à douze heures et ont proclamé le droit au travail. Plutôt que de chercher à s’affranchir du travail, les masses prolétaires ont accepté cette idéologie en voulant même l’imposer aux classes rentières. Selon la religion et les penseurs du temps, un travail dur et très prenant occupe les classes laborieuses et les détourne des vices.
Or, l’excès de travail, s’il remplit les poches des propriétaires et donc des classes rentières, et crée en conséquence une masse de travail de service pour ces inactifs, il provoque des déséquilibres et des crises devant lesquelles les masses se retrouvent désarmées, sans travail, sans économie. Ils demandent du travail, plus de travail au lieu de réclamer le fruit de leur production.

Commentaires

Beau-fils de Karl Marx, Paul Lafargue s’en prend, de manière apparemment paradoxale, au travail. En lieu et place d’un droit du travail pour tous, il voudrait une limitation à 3h/ jour maximum de travail. On pourrait ainsi penser qu’il n’accepte pas l’éloge du travail émancipateur qu’a fait son illustre parent. Bien-sûr, c’est tout l’inverse. Le travail prôné par les classes bien-pensantes est un travail abrutissant, asservissant, qui démunit le peuple de sa force, de sa pensée, de son temps, de son plaisir. Ce travail-là, s’il est nécessaire pour la survie de l’espèce, alors il doit être réduit au strict minimum. Le travail dont parlait Marx est tout autre, puisqu’il y est question de produire quelque chose pour soi ou pour le donner. Il s’agit donc de l’existence en soi et non plus d’un travail pour l’enrichissement.

On retrouve chez Lafargue, la critique des classes inactives, rentières, et la dénonciation visionnaire de la société de service destiné à ces classes désoeuvrées. Comment donc faire tomber ces rentiers, ces patrons, si une immense masse de pauvres dépend de leur richesse et des loisirs qu’ils se permettent avec celle-ci ?

Néanmoins, il y a une certaine exagération, provocation, dans le propos de Lafargue, qui réduit le travail à son aspect abrutissant, afin de combattre cette idéologie du travail, encore bien présente un siècle et demi plus tard. Mais on pourrait utiliser un tel texte pour se diriger vers une société idéale sans travail, uniquement basée sur les loisirs, le travail géré par des robots… La société transhumaniste… Ce serait oublier le travail émancipateur de Marx, le plaisir de l’accomplissement d’une puissance nietzschéenne, la joie du travail collectif, l’importance des objectifs qu’on se donne… Le travail n’est pas seulement souffrance, il est aussi volonté d’aller vers l’autre, volonté d’améliorer le quotidien, d’aider, de suer… Ce que cherche Lafargue, c’est dénoncer une fausse idéologie comme celle de travailler plus pour gagner plus. La croissance. Dans une société capitaliste, le travail industriel de production est en fait une simple production de richesse, non une production de besoin. C’est ce travail qui doit être limité, voire anéanti.

La paresse est ainsi un espace-temps de liberté révolutionnaire pour le prolétaire, non pas qu’elle autorise un temps de loisir bourgeois – tout aussi abrutissant que le travail -, mais parce qu’elle permet une prise de recul, une réflexion sur soi et sur le sens de son action sur le monde. C’est le temps de l’auto-instruction, de la planification de la construction de soi et du monde, à rapprocher du travail de recherche de Jacques Rancière, La Nuit des prolétaires, archives du rêve ouvrier (1981), faisant référence à la nuit, temps de repos parfois utilisé pour la lecture ou pour des réunions secrètes (voir le personnage de Lantier dans Germinal).

Passages retenus

Travaillez, travaillez, prolétaires, pour agrandir la fortune sociale et vos misères individuelles, travaillez, travaillez, pour que, devenant plus pauvres, vous ayez plus de raisons de travailler et d’être misérables. Telle est la loi inexorable de la production capitaliste.
Parce que, prêtant l’oreille aux fallacieuses paroles des économistes, les prolétaires se sont livrés corps et âme au vice du travail, ils précipitent la société tout entière dans ces crises industrielles de surproduction qui convulsent l’organisme social. Alors, parce qu’il y a pléthore de marchandises et pénurie d’acheteurs, les ateliers se ferment et la faim cingle les populations ouvrières de son fouet aux mille lanières. Les prolétaires, abrutis par le dogme du travail, ne comprennent pas que le surtravail qu’ils se sont infligé pendant le temps de prétendue prospérité est la cause de leur misère présente, au lieu de courir au grenier à blé et de crier : « Nous avons faim et nous voulons manger !… Vrai, nous n’avons pas un rouge liard, mais tout gueux que nous sommes, c’est nous cependant qui avons moissonné le blé et vendangé le raisin… » Au lieu d’assiéger les magasins de M. Bonnet, de Jujurieux, l’inventeur des couvents industriels, et de clamer :
« Monsieur Bonnet, voici vos ouvrières ovalistes, moulineuses, fileuses, tisseuses, elles grelottent sous leurs cotonnades rapetassées à chagriner l’oeil d’un Juif et, cependant, ce sont elles qui ont tissé et filé les robes de soie des cocottes de toute la chrétienté. Les pauvresses, travaillant treize heures par jour, n’avaient pas le temps de songer à la toilette, maintenant, elles chôment et peuvent faire du frou-frou avec les soieries qu’elles ont ouvrées. Dès qu’elles ont perdu leurs dents de lait, elles se sont dévouées à votre fortune et ont vécu dans l’abstinence ; maintenant, elles ont des loisirs et veulent jouir des fruits de leur travail. »

p. 28

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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