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Ramasse tes lettres : Pirates, corsaires et flibustiers (jeunesse)

Aventures dans les légendes pirates

Descornes (Stéphane) 2004, Contes et Récits : Pirates, corsaires et flibustiers, Nathan, coll. La Mémoire du monde

illustrations par Hugues Micol

Note : 3.5 sur 5.

L’auteur : Stéphane Descornes (1969-)
Né à Paris. Attiré par la Bande dessinée, fait des études d’illustrateur, pour se consacrer à l’écriture d’histoires principalement pour la jeunesse.

Résumés

L’Héritage d’Eustache Buskes (1217) : Kalikratès, un acrobate de cirque croise le fameux pirate dans une prison, la nuit avant son exécution ; celui-ci lui révèle l’emplacement de son trésor.
La plus belle dame de Fondi (1534) : un homme mystérieux s’introduit une nuit chez la belle Julie de Gonzague ; elle doit s’enfuir, Barberousse veut l’enlever.
T’étais un grand homme, Morgan (1685), Henri Morgan, ancien flibustier, est confronté à Oexmelin, son ancien chirurgien de bord qui a publié son Histoire d’aventuriers… dans lequel il fait un portrait très noir de son ancien capitaine.
Quand la chance vous sourit (1693), René Duguay-Trouin, corsaire français promet de s’échapper de la prison anglaise de Plymouth ; une jolie vendeuse de légumes lui fait porter un panier chaque jour par l’intermédiaire de son compatriote geôlier…
Comment naît une légende (1703), après que le journaliste Guillaume Rendu eut interviewé un homme imposant, connu selon deux enfants rencontrés dans un bar, comme Monbars l’exterminateur.
La Revanche d’Israël Hands (1718), homme de Barbe-Noire, estropié, accusé et sommé de raconter sa version de la bataille qui opposa son capitaine et le lieutenant Maynard, qui se termina par la mort du plus célèbre pirate.
Ma mère s’appelait Anne Bonny (1716-1721) : la jeune Mary retrouve dans la maison de sa jeunesse le journal de sa mère qui était en fait une pirate célèbre auprès de Barbe-Noire et de Calico Jack…
Signé Laffite (1814-1815) : le pirate Jean Laffite, recherché par le gouverneur de la Nouvelle Orléans, lui propose de mettre à disposition ses hommes contre l’invasion anglaise qui se prépare.
La Part du diable (1800-1827), Robert Surcouf, corsaire français, se lance à l’abordage d’un gigantesque navire anglais, le Kent ; n’a-t-il pas sous-estimé l’adversaire ?
– POSTFACE dans laquelle l’auteur raconte la genèse de ses contes, chacun appuyé sur une moitié de témoignages et archives historique, et une seconde moitié d’imagination.

Commentaires

L’univers de la piraterie possède un immense potentiel de projection et de rêverie. Il suffit pour s’en convaincre de penser au succès planétaire du manga One Piece (1997→?) de Eiichiro Oda, qui élabore un monde fantastique à partir de l’univers des pirates dont il reprend certaines figures comme le terrible Barbe-Noire. Voyage, aventure, chasse au trésor, fraternité de l’équipage, immensité des océans, risque, orages, amour, batailles, excentricité du vêtement et liberté de l’impertinence… marginalité criminelle ou rebelle… Le pirate est-il une mauvaise personne qui plaît ou parfois une espèce de Robin des bois attaquant les flottes coloniales et impériales (comme évoqué par Kalikratès s’adressant à Eugène Buskes) ? Le pirate, son corps balafré, témoin d’un vécu lourd d’expérience, son humeur imprévisible qui fait peur et possède en même temps un charisme spécial, qu’on pourrait rapprocher de celui du vampire. On pourra aussi penser au personnage de Végéta dans le manga Dragon Ball d’Akira Toriyama, personnage a priori négatif, colérique, orgueilleux, revanchard, machiste, ambitieux, détestant la défaite… mais choisissant finalement le bien en dernier recours, comme peut-être Robert Surcouf qui épargne les otages.

Cependant, le recueil ne donne que peu de place aux aventures en haute mer. Mis à part l’abordage de « La part du diable » (qui aurait plutôt trouvé sa place au début du recueil, en tant que scène la plus attendue, au lieu de suivre un ordre chronologique peu pertinent). Seul le journal d’Anne Bonny tente de faire passer le goût du voyage, dépeint la vie et les aventures à bord. Stéphane Descornes raconte finalement peu les scènes d’action, évasions – autre topos de la piraterie – à l’exception également du récit d’Israël Hands. La fuite de la belle femme de Fondi est également sans danger.

En échange des scènes d’action attendues, l’auteur s’intéresse davantage à la confrontation du pirate et d’une personne extérieure au monde de la piraterie. Cette dernière porte en quelque sorte le regard et la parole du lecteur dans une sorte d’entrevue permettant de faire connaissance avec ces étoiles de la piraterie. Qui étaient-ils donc ? Le titre fait allusion aux différents statuts : les pirates ou forbans sont des criminels n’agissant que pour leur compte, les corsaires ont l’autorisation de leur seigneur ou roi pour attaquer les navires ennemis, les flibustiers français sont par exemple des pirates qui ne s’en prennent volontairement qu’aux troupes espagnoles et portugaises et qu’on laisse donc agir.

Ces personnages demeurent mystérieux et leur vie, leurs actions, leur mode de vie alimentent l’imaginaire. Pourquoi Laffite a choisi de venir en aide au gouverneur de la Nouvelle Orléans ? Aucun des récits ne retrace toute une vie à l’exception sans doute du journal d’Anne Bonny. Dans la plupart, Descornes a pour but d’éclaircir ou d’exploiter un point particulièrement mystérieux de la légende qui court sur chaque figure. Par cette accroche il donne une petite entrée sur la légende : le témoignage d’Israël Hands décrivant son capitaine lui tirer dans la jambe ; l’enfant qu’aurait eu Anne Bonny ; l’évasion de Duguay-Trouin ; comment s’est évadée la dame de Fondi, le procès pour diffamation intenté par Henry Morgan…

D’autre part, Descornes s’intéresse à la construction de ces légendes. Confronter Morgan à son chroniqueur Oexmelin, le journal de bord d’Anne Bonny, le jugement des pirates de Barbe-Noire… et bien-sûr la création totale de la légende de Monbars l’Exterminateur, par le mensonge, la colportation d’une rumeur… Dans l’espace d’inconnu laissé par la légende, l’auteur peut laisser courir son imagination, sa fantaisie, sa connaissance ou sa vision du personnage, de l’humain, du sens que porte le personnage. Un peu à la manière des Vies imaginaires (1896) de Marcel Schwob, Stéphane Descornes fait un exercice de fictionnalisation de ces personnages de légende, de bio-fiction, cherchant à faire entrer le lecteur dans l’intime, faire entendre la parole, faire voir, toucher, sentir… là où les chroniques en restent trop souvent à la succession d’événements.

Passages retenus

Avouons-le d’emblée, dans « T’étais un grand homme, Morvan ! », la rencontre houleuse que je relate entre Morgan et son biographe, Oexmelin, n’a sans doute jamais eu lieu. En revanche, le procès qu’intenta l’ancien flibustier aux éditeurs d’Oexmelin s’est bel et bien produit. Concluant à la diffamation, les juges exigèrent le paiement de dommages et intérêts. Une première… et un procédé plus que jamais d’actualité !

p. 176

C’est en écoutant l’émission radiophonique de Michel Le Bris, À l’abordage, que j’ai appris cette incroyable nouvelle : Monbars l’Exterminateur n’a en fait jamais existé ! Après un tel choc, une foule de questions m’ont assailli : comment naît une légende ? D’où Oexmelin tenait-il ses sources, lui qui, le premier, raconta les exploits de Monbars ? De Nau l’Olonois, n’est-ce pas ? Mais alors, lequel des deux se trompe, confond, invente ? D’où peut bien sortir ce macabre héros ? D’un conte pour enfants ? Écrit par qui ? Par un écrivain médiocre que l’on refuse de publier ou, plus amusant, par des enfants ?

p. 178

Terrible dilemme que celui auquel fut confronté Jean Laffite : ou bien aider ses compatriotes (qui étaient aussi ses pires ennemis) à repousser l’envahisseur anglais ; ou bien s’allier à ce dernier et se débarrasser d’eux une fois pour toutes. Contre toute attente, Laffite choisit de combattre aux côtés des Américains qui en furent grandement soulagés ! Et pour cause : sans la petite armée personnelle de Laffite, la Louisiane (et qui sait, l’Amérique tout entière ?) serait tombée aux mains des Anglais ! Certains n’ont lu dans son attitude qu’un banal patriotisme. Je crois l’homme diablement plus rusé. À l’image de ce message Signé Laffite, offrant une récompense à qui lui livrerait le gouverneur Clairborne, Laffite s’est bel et bien moqué des uns et des autres. Et avec quel panache !

p. 179

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

3 commentaires sur « Ramasse tes lettres : Pirates, corsaires et flibustiers (jeunesse) »

  1. Merci pour cette critique ! Mon ambition dans ce livre était de créer une sorte de rêverie autour de quelques figures de la piraterie. Mon propos n’était pas de retracer la vie précise des pirates mais de m’amuser un peu, de tourner autour d’une silhouette, de jouer avec tel ou tel thème. Comme par exemple d’imaginer comment avait pu naître la légende de Monbars l’Exterminateur. C’est peut-être un exercice qui a pu passer au-dessus de la tête des jeunes lecteurs, qui auraient souhaité plus d’abordages, de bagarres, de bruits d’épées qui s’entrechoquent et ou d’explosions de barils de poudre. Sans doute. Je reconnais en cela mon échec.

    J’ai pris quelques libertés historiques, mais comme vous le précisez j’ai rectifié le tir dans la postface en disant ce qui relevait des faits et de la légende. Il est difficile dans ce corpus de faire table rase du travail effectué par Hollywood. Ses films ont imposé des codes dont il est périlleux de s’extraire. En voulant faire ici ou là un pas de côté je me suis peut-être cassé la figure. Il y a deux ou trois histoires que j’aime bien. Dans lesquelles je pense avoir un peu lâché la bride. Et où l’imagination a pris les rênes.

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  2. Ravi de vous lire ici. J’ai pris du plaisir à lire et commenter votre recueil, que m’avait donné et conseillé un bon ami bouquiniste. C’est un joli petit livre.
    La question des scènes d’action… oui, importantes pour séduire les jeunes lecteurs. J’ai lu/fait lire les deux premières histoires à une classe de cinquième cette année : la chose a marché au début – suscitant l’intérêt – mais pas complètement car il manquait cette scène qui aurait pu les captiver et qui était dans une autre histoire ! Je m’y suis mal pris, j’aurais dû commencer par l’abordage de Surcouf ou par Barbe-Noire. Après ça, j’aurais pu bosser sur d’autres questions plus culturelles/intellectuelles comme Monbars ou autre qui seraient alors mieux passées…
    Concernant l’approche d’écriture, je la trouve intéressante et inspirante. Je suis en train d’écrire un article sur ce procédé d’écriture (https://leluronum.art.blog/2020/06/23/atelier-decriture-la-bio-fiction/).
    Bonne continuation !

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