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Ramasse tes lettres : Fabliaux, Hachette collège (contes)

Journal politique des villages et cités médiévales ?

groupe XIIIe-XVe, Fabliaux du Moyen-Âge, traduit de l’ancien français par Jean-Claude Aubailly, Hachette, coll. Biblio Collège, 2000

Note : 3.5 sur 5.

Ces fabliaux nous semblent être de très bons outils permettant de travailler l’art de raconter, à l’écrit ou à l’oral, en même temps qu’ils disent bien le monde médiéval, la vie quotidienne du peuple.

Résumé

– La couverture partagée (attribué à Bernier) : à la demande de sa femme, un homme veut mettre son vieux père alcoolique à la porte ; mais le fils n’accepte de donner qu’une demi couverture au grand-père.
– Le vilain de Farbus (par Jean Bodel), qui emmène son fils au marché, celui-ci apprend à son père qu’en crachant sur un fer, on voit s’il est encore chaud.
– Estula, du nom du chien qui garde la maison du riche bourgeois qui habite près des deux pauvres frères.
– Les Perdrix, que la femme du vilain cuisine puis dévore, ne pouvant résister à la gourmandise, pendant que le vilain est allé inviter le curé.
– Le paysan devenu médecin : un paysan se sent obligé de battre chaque matin sa femme, fille de chevalier, pour qu’elle ne le trompe ; celle-ci l’envoie au roi en disant qu’il est un médecin très doué qui refuse d’exercer sans être battu.
– Le tailleur du roi et son apprenti, où comment l’apprenti se venge du maître qui l’a oublié pour le déjeuner.
– La vieille qui graissa la main du chevalier, car on le lui a conseillé pour récupérer ses vaches prises en gage par le prévôt.
– Brunain, la vache du prêtre (par Jean Bodel) : un vilain donne de bon coeur sa vache au prêtre en espoir que Dieu lui rende au double.
– Le pauvre mercier, qui s’étant fait dévorer son cheval par des loups, demande réparation au seigneur puis à un moine représentant de Dieu.
– Les trois aveugles de Compiègne (par Courtebarbe), auxquels un clerc moqueur fait semblant de donner un besant et qui le dépensent tout à l’auberge…
– Le repas de Villon et de ses compagnons, dans lequel maître François commande à la poissonnerie un festin et envoie le commis se faire dépêcher par le curé.

Commentaires

Ce recueil de fabliaux expliquera bien le rapport entre fables et fabliaux. À la manière des fables, on trouve un conteur qui anime ou présente une histoire et en donne une morale. La principale différence avec les fables est que les anecdotes racontées prennent place dans le monde réel, et ici en tout cas, dans le monde des campagnes du Moyen-Âge. Ce monde est à rapprocher de celui décrit par Le Roman de Renart : vilains, marchands, curés, clercs, voleurs, comique tournant autour du corps mangeant, travaillant, battu… autour de jeux de mots (« Estula » qu’on pourrait rapprocher du « Personne » de l’Ulysse d’Homère face au cyclope). Les morales tournent autour du trompeur trompé (comme dans « Le tailleur et son apprenti »), l’avare qui accumule bêtement, l’imbécile ou naïf trompé… Certaines morales sont tout à fait discutables comme la condamnation de la ruse féminine dans « Les Perdrix » (ruse féminine qui permet d’assouvir la gourmandise, qu’on retrouve dans « Le paysan devenu médecin », intrigue ayant inspiré « Le médecin malgré lui » de Molière) ; lien avec le péché primordial de Ève ou de Pandore, misogynie du Moyen-Âge, de la littérature, de la culture ?) ou difficiles à comprendre (« La vieille qui graissa la main »), et permettent donc une discussion, rectification (quelle autre morale attendrait-on, pourrait-on proposer ?).

Certains personnages comme le curé, le moine, le bourgeois ou encore le prévôt sont d’office moqués et victimes, comme s’il était question pour les conteurs de se venger de ces personnages dont on sentirait qu’ils s’enrichissent injustement. La critique a déjà un contenu politique clair concernant le parasitisme réel de la société féodale : la moquerie envers les aveugles, ou envers le commis du pêcheur se déporte sur le prêtre, qui est sommé de rembourser, de payer à la place des pauvres. Le bourgeois n’est plus un artisan ou un marchand honnête, il accumule, c’est pourquoi il est battu, volé sans honte, roulé – le vol ou la méchanceté envers lui ne sera pas punie. Le prévôt, homme de l’État, du roi ou seigneur, chargé de faire respecter les lois du seigneur, donc de les faire primer sur celles de la communauté villageoise ou citadine, de prélever les impôts, qui doublent ceux de la collectivité et ne servent qu’à enrichir le seigneur. Si le chevalier a de l’honneur, il n’en reste pas moins un parasite qui ne sert qu’à faire la guerre, s’appauvrissant autrement, prêt à vendre sa fille pour retrouver de l’aisance. Le seigneur positif du « pauvre mercier », rendant justice comme un chef de village, est annoncé comme punissant sévèrement les voleurs, et pourtant, il ne punit pas le mercier qui a volé le vêtement du moine, mais bien le moine qui est au service d’un seigneur-dieu injuste, qui prélève et s’enrichit sans rien faire de ses mains.

Le monde décrit par ces fabliaux est très concret, terre à terre : un vol a eu lieu, un mauvais tour, un incident, untel a trompé, untel a été trompé… On est dans le monde de tous les jours avec le peuple et ses histoires, à la source du récit, les rumeurs qui circulent et s’amplifient par l’art du récit. Un autre intérêt de ces fabliaux est de renouer avec l’oralité, avec ce qui fait la base de la littérature, du récit en public. Le jongleur-ménestrel laisse voir les ficelles de l’art du storytelling (ou l’art de conter) : annoncer le début du récit (fonction régie), établir et maintenir le contact avec le public (fonction phatique), commenter la véracité et la portée morale de ce qui est raconté (fonction évaluative)… Bien-sûr, tout cela est artifice (le jongleur annonçant souvent un but de divertissement alors qu’il est question de morale), exercice de style de la tradition, mais cela permet tout de même de se représenter cette situation de la narration poétique médiévale. Il manquerait encore la magie de la poésie-prosodie de l’ancien français versifié, et l’accompagnement musical.

Passages retenus

p. 22 :

Il y avait jadis deux frères qui n’avaient plus ni père ni mère pour les conseiller et qui vivaient sels sans la moindre compagnie et c’est là une amie qui fait souffrir plus qu’à leur tour ceux avec lesquels elle se trouve. Et il n’est guère de souffrance plus pénible. Les deux frères dont je vais vous parler demeuraient ensemble. Une nuit, mourant de faim, de soif et de froid – maux qui harcèlent souvent ceux que Pauvreté tient sous sa coupe – ils se mirent à penser au moyen de se défendre contre la pauvreté qui les oppressait et les faisait vivre dans un malaise perpétuel.

p. 57 :

J’ai raconté cette anecdote pour montrer l’attitude de ceux qui sont puissants et fortunés et qui sont souvent fourbes et déloyaux ; ils vendent leur parole et leur conscience et se moquent de la justice. Chacun ne songe qu’à amasser : le pauvre n’a gain de cause que s’il paie.

p. 64 :

Un gentil clerc, qui s’efforce de rapporter des choses divertissantes, veut vous raconter une nouvelle histoire. Et si son récit est plaisant, il mérite bien d’être écouté, car, souvent, une bonne histoire fait oublier la colère et les soucis et calme les grandes disputes. Quand quelqu’un raconte une histoire drôle, les querelles s’oublient.

p. 74 :

On tient pour sage un ménestrel qui met tout son art à imaginer les beaux récits et les belles histoires que l’on raconte devant les comtes et les ducs. C’est une bonne chose que d’écouter des fabliaux car ils font oublier maints chagrins, maintes douleurs et maints ennuis. C’est Courtebarbe qui fit ce fabliau et je crois qu’il s’en souvient encore.

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Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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