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Ramasse tes lettres : Le Petit Nicolas, de Sempé/Goscinny (jeunesse)

À l’école des enfants

Sempé et Goscinny (René), Le Petit Nicolas (1960), Gallimard jeunesse, coll. « Folio Junior », 2007 (édition de 2012)

Note : 4 sur 5.

Les auteurs : Sempé et Goscinny

Jean-Jacques Sempé (1932-)

Enfant naturel adopté par une famille modeste, père petit représentant de commerce à tendance alcoolique, mère souvent énervée et brutale. Enfant solitaire, bégayant un peu, il trouve refuge à l’école dans le chahut et dans les livres. Il s’intéresse aux émissions radio, aux romans policiers, aux journaux féminins… Il déserte peu à peu l’école à ses quatorze ans, et se fait petit courtier, représentant à bicyclette dans les Pyrénées. Il commence à proposer ses dessins humoristiques à la presse locale vers 1950. Il s’installe à Paris, montre ses dessins à Chaval qui l’encourage. C’est sur la demande du journal belge Moustique qu’il invente en 52 le petit Nicolas. Il demande à René Goscinny, également collaborateur au journal de l’appuyer pour des scénarios de bédé. Mais le projet se transforme en textes illustrés aboutissant au premier livre du Petit Nicolas en 1960. Il publie ses dessins humoristiques dans de nombreuses revues prestigieuses comme L’Express, Pilote, Télérama…

René Goscinny (1927-1977)

De parents français d’origine juive de Pologne et d’Ukraine (goscinny signifie hospitalier), René grandit à Buenos Aires où le père occupe un poste d’ingénieur chimiste dans l’agriculture. Il se passionne pour l’humour et pour le dessin (il recopie un album entier des Pieds Nickelés). La mort de son père en 43 le contraint à abandonner ses études.

Il s’installe à New York avec sa mère en 1945. Après des années de galère, il finit par travailler pour une agence de publicité en 48 et y rencontre le fondateur du magazine satirique Mad. Il publie son premier livre pour enfants, Playtime Stories. Il rend visite à Jijé, un auteur de bande dessinée belge installé dans le Connecticut, qui lui fait connaître Morris, Franquin, Will, ainsi que le directeur de la World Press Agency, qui travaille avec les éditions Dupuis. Goscinny est envoyé à Paris où il rencontre Uderzo, Martial et Sempé. Après l’échec de ses projets, il finit par se consacrer exclusivement à l’écriture.

En 55, Morris lui demande de prendre le relai du scénario de Lucky Luke au 19e album. Il commence à écrire des scénarios pour le Petit Nicolas avec Sempé. En 56, il tente de monter un syndicat des auteurs de bande dessinée avec Uderzo et Jean-Michel Charlier et sont licenciés de la World Press. Avec ces derniers, il participe à diverses revues comme Pistolin, le Journal de Tintin, Record avant de reprendre la rédaction du magazine Pilote. Il crée la série Iznogoud avec Jean Tabary. Après avoir travaillé sur Oumpah Pah l’indien, Goscinny et Uderzo créent Astérix le Gaulois en 61. Pilote accueille des centaines de jeunes dessinateurs.

Résumé

Le Petit Nicolas nous raconte son quotidien, à l’école ou au dehors, ses relations avec ses camarades de classe, tous de grands chahuteurs (à part Agnan, le petit chouchou à lunettes), la maîtresse, le surveillant, les parents et le voisin…

– Un souvenir qu’on va chérir (la photo de classe)
– Les cow-boys (et le père qui participe)
– Le Bouillon (le surveillant qu’on regarde bien dans les yeux)
– Le football (qui ne commence jamais)
– On a eu l’inspecteur (ou l’accident de l’encrier)
– Rex (le petit chien recueilli)
– Djodjo (le petit nouveau anglais qui répète tout)
– Le chouette bouquet (pour l’anniversaire de maman)
– Les carnets (et Eudes qui veut héberger Nicolas)
– Louisette (la fille parfaite qui frappe bien la balle)
– On a répété pour le ministre (l’hymne et la remise des plumeaux)
– Je fume (le cigare dans le terrain vague avec Alceste)
– Le Petit Poucet (théâtre avec le chat botté et Alceste pour souffler)
– Le vélo (cadeau et papa qui aurait pu devenir champion)
– Je suis malade (mais j’ai faim et je dessine avec le vieux stylo de papa)
– On a bien rigolé (pendant que les autres étaient sur leurs problèmes d’arithmétique)
– Je fréquente Agnan (pour l’exemple et on a fait de belles expériences)
– Monsieur Bordenave n’aime pas le soleil (ni les sandwiches à la confiture d’Alceste)
– Je quitte la maison (et j’ai besoin d’argent pour le vélo de Clotaire)

Commentaires

Si les illustrations sont de Sempé, les anecdotes sont construites à partir des souvenirs des deux auteurs, et particulièrement ceux de Sempé.

Peu nombreuses, si on les compare aux planches d’une bande dessinée, les illustrations de Sempé, avec ce style caricature, participent pleinement à l’univers du Petit Nicolas, celui de l’espièglerie enfantine. Ils en donnent une image simple et sans particularités (tous les personnages sont blancs, long nez en cigare… la grande majorité des personnages sont des garçons) : on pourrait aujourd’hui trouver suspect cette homogénéité, manque qui peut être comblé à l’occasion de tel ou tel récit qui fait surgir, met en relief, cette diversité absente du souvenir (l’anglais, le pauvre, le riche, la fille… On découvre ainsi dans « Louisette » que la fille jusqu’alors absente reçoit à l’avance les clichés machistes, mais s’en détache justement pour obtenir au nom des filles une identité forte ; « Djodjo » lui aussi donnant son nom au chapitre, a une identité forte, valorisée par le récit).

Pourtant peu nombreuses, si on les compare avec la bande dessinée, le style caricaturiste de Sempé participe à l’univers du Petit Nicolas, de l’espièglerie enfantine. Il en donne une image simple mais sans particularisme (tous les personnages sont blancs, long nez en cigare… les enfants sont des garçons) : si l’on peut reprocher ce manque de diversité apparente (représentativité des minorités…), c’est aussi une manière de voir l’enfance à travers le prisme déformant du souvenir, manque qui peut être comblé à l’occasion de tel ou tel récit qui fait surgir, met en relief, cette diversité absente du souvenir (l’anglais, le pauvre, le riche, la fille… On découvre ainsi dans « Louisette » que la fille absente qui reçoit à l’avance les clichés machistes, s’en détache justement pour obtenir au nom des filles une identité propre).
Le jeu de compilation sur les bons souvenirs d’école, événements marquants, les bonnes blagues et les grosses bêtises, prend des allures de journal fictif d’un enfant (l’absence de dates précises, de noms de famille, permet comme une transformation de l’anecdote en mythe symbolique, l’universalisation de la parole : le petit Nicolas, c’est tout un chacun, dans l’enfance, et dans ses souvenirs d’enfance). Mais c’est la fausse voix enfantine de Nicolas qui fait toute la magie du récit. Les événements, racontés comme du jour même, comme un journal rédigé par le Petit Nicolas, font entendre aussi bien l’innocence de l’enfant et le regard acéré d’un auteur – voix révélatrice des incohérences, absurdités du monde adulte (notamment sur l’éducation, que ce soit à l’école ou à la maison, ou bien sur l’illusion des adultes qui sont en fait de grands enfants cachant difficilement les mêmes envies de jeu, de bêtises…).
« – Assez ! À vos places ! Vous ne jouerez pas cette pièce pendant la fête. Je ne veux pas que monsieur le directeur voie ça ! Nous sommes tous restés la bouche ouverte. C’était la première fois que nous entendions la maîtresse punir le directeur. » (p. 118). La conclusion ou pseudo-morale proposée par la voix de l’enfant fait rire évidemment parce qu’elle trahit une erreur d’interprétation sur les paroles de la maîtresse. Mais la double référence de « ça » (le spectacle prévu, les bêtises des enfants) permet aussi de faire surgir une critique sociale du monde adulte qui refuse de voir l’enfant tel qu’il est, qui le veut autrement, figé, petit adulte, très calme, sage, attentif. Qui veut le voir dans un spectacle d’adulte, jouer à imiter l’adulte. Alors que même le personnage d’Agnan porte des lunettes (symbole du sérieux adulte rendant impossible la bagarre), comme il porterait un masque : chaque scène révèle comme sa nature profonde d’enfant le porte à la « bêtise » enfantine, non au sérieux calme. Sa nature se révèle d’ailleurs totalement dans « Je fréquente Agnan », le Petit Nicolas étant davantage qu’une mauvaise influence, le révélateur de cette nature reniée par Agnan (celui qui accepte ce jeu contre-nature imposé par les adultes). Nicolas est celui qui fait émerger cette nature humaine de l’enfant, qui communique au lecteur ce souvenir enfoui de ces bons temps d’innocence et de jeu.

Les personnages d’adulte dans « Le vélo » (ou la concurrence du père et du voisin apparaît encore plus guignolesque que celle des enfants), dans « Rex » (où les deux parents cèdent au même penchant d’émerveillement naïf pour le petit chien). Dans « Monsieur Bordenave n’aime pas le soleil », le surveillant de récré, à cause de la difficulté absurde de son travail – imposer le carcan de la discipline aux enfants lors de la récré – en vient à un comportement aussi incohérent que celui d’un enfant capricieux. Le photographe de « Un souvenir qu’on va chérir » est fortement ébranlé de jalousie devant les critiques de Geoffroy sur son appareil.

Tour à tour, les adultes (surveillant Bouillon, la maîtresse, le directeur, l’inspecteur…) essayant ou croyant avoir la solution pour domestiquer les petits sauvageons – pleine essence d’enfance – se cassent les dents sur la ressource infinie de bêtises impossibles à faire taire.

Mais Goscinny ne fait pas du Petit Nicolas un symbole soixante-huitard non plus. L’enfant ne sait pas toujours ce qu’il veut – Nicolas et Alceste sont vite ennuyés de leur école buissonnière dans l’ironique « On a bien rigolé ». Les fréquentes envies de fugue de Nicolas (« Je quitte la maison ») en sont un excellent symbole. Ce n’est pas parce que la nature de l’enfant – ou de l’humain – est d’être joueuse, fanfaronne, bêtisière, qu’il faut abandonner toute forme de discipline, d’éducation… Les enfants aiment la maîtresse, comme quelque part ils aiment et comprennent leurs parents qui se fâchent de leurs bêtises et mauvais « carnets ». C’est qu’instinctivement ils savent le besoin de règles et de limites, celles-là même qui donnent toute la saveur de la bêtise (« je fume »).

Ainsi, prendre conscience de la nature profonde de l’enfant, de l’humain, ce n’est pas pour autant la laisser s’exprimer sans restrictions, sans essai de détermination de ce qui est bon ou mal. Dans « Djodjo », on voit l’immense plaisir de la manipulation du gros mot par les enfants, répété bêtement, ou tout à fait volontairement, par l’anglais – a-t-il senti même ce plaisir et cette puissance dans la bouche de ses nouveaux camarades, ce qui l’a amené à les répéter fièrement ? Ces mots défendus, réservés aux adultes, ne perdraient-ils pas tout pouvoir de subversion s’ils étaient acceptés ? La « Louisette » est le parfait exemple de cette synthèse entre monde sérieux adulte et malice de l’enfant. La jeune fille, un peu plus âgée semble-t-il, s’approprie les codes du monde adulte, ce qui lui permet de retirer encore plus de plaisir de ses jeux et ses blagues, elle en obtient le respect et l’admiration de Nicolas. Il y a comme là une belle illustration de la conception du métier de scénariste-humoriste-caricaturiste-bédéiste de l’auteur : celui qui s’amuse avec les codes adultes, les fait parler, crève le sérieux adulte, cette mécanique défaillante qui en devient risible, tel que le décrit Bergson dans le Rire. Et c’est par ce rire malicieux qui fait éclater les enflures sociales que Goscinny retrouve un autre sérieux – presque celui d’un Socrate –, une recherche de l’humain, du sens de l’existence, de l’humilité, du plaisir simple…

Passages retenus

Contrat de confiance, p. 23 :

Le surveillant, on l’appelle le Bouillon, quand il n’est pas là, bien-sûr. On l’appelle comme ça, parce qu’il dit tout le temps : « Regardez-moi dans les yeux », et dans le bouillon il y a des yeux. Moi non plus je n’avais pas compris tout de suite, c’est des grands qui me l’ont expliqué. Le Bouillon a une grosse moustache et il punit souvent, avec lui, il ne faut pas rigoler. C’est pour ça qu’on était embêtés qu’il vienne nous surveiller, mais, heureusement, en arrivant en classe, il nous a dit : « Je ne peux pas rester avec vous, je dois travailler avec monsieur le directeur, alors, regardez-moi dans les yeux et promettez-moi d’être sages. » Tous nos tas d’yeux ont regardé dans les siens et on a promis. D’ailleurs, nous sommes toujours assez sages.

Jeux et bêtises, p. 146 :

Mais là, Agnan était très embêté, parce qu’il n’avait pas de bateaux pour jouer. Il m’a expliqué qu’il avait très peu de jouets, qu’il avait surtout des livres. Heureusement, moi je sais faire des bateaux en papier et on a pris les feuilles du livre d’arithmétique. Bien-sûr, on a essayé de faire attention, pour qu’Agnan puisse recoller après les pages dans son livre, parce que c’est très vilain de faire du mal à un livre, à un arbre ou à une bête.

On s’est bien amusés. Agnan faisait des vagues en mettant le bras dans l’eau. C’est dommage qu’il n’ait pas relevé la manche de sa chemise et qu’il n’ait pas enlevé la montre-bracelet qu’il a eue pour sa dernière composition d’histoire où il a été premier et qui maintenant marque quatre heures vingt et ne bouge plus. Au bout d’un temps, je ne sais pas combien, avec cette montre qui ne marchait plus, on en a eu assez, et puis il y avait de l’eau partout et on n’a pas voulu faire trop de gâchis, surtout que par terre ça faisait de la boue et les sandales d’Agnan étaient moins brillantes qu’avant.

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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