
Réapprendre par la fable
Sepúlveda (Luis), Histoire d’une mouette et du chat qui lui apprit à voler (Historia de una gaviota y del gato que le enseñó a volar), Seuil, 1996, traduit de l’espagnol (Chili) par Anne-Marie Métailié, Seuil / Métailié, 1996
L’auteur : Luis Sepúlveda (1942-2020)
Né en 1942 à Ovalle (Chili). Grandi dans un barrio ouvrier de Santiago, il se passionne pour la littérature et le football. En 1961, il s’engage dans les jeunesses communistes et soutient Salvador Allende. Il est emprisonné deux ans et demi à Temuco pendant la dictature d’Augusto Pinochet, libéré en 77 sur la demande d’Amnesty International.
Voyageant en Amérique du Sud, il fonde une troupe de théâtre en Équateur, passe un an parmi les indiens Shuars pour l’UNESCO afin d’étudier l’impact de la colonisation puis s’engage aux côtés des sandinistes révolutionnaires au Nicaragua. À partir de 82, il migre en Europe, où il devient journaliste, acceptant des missions pour Greenpeace ou la Fédération internationale des Droits de l’Homme…
Résumé
Alors que son maître est en vacances et que Zorbas s’apprête à vivre en seigneur dans son appartement, une mouette échoue sur son balcon. Ses plumes sont couvertes de pétrole. Elle lui fait promettre de s’occuper de l’oeuf qu’elle attend et d’apprendre à voler à son petit. Zorbas va demander de l’aide à ses amis Colonello et Secretario au restaurant italien d’à côté.
Commentaires
Ouvrage de jeunesse, ce gentil conte porte sur la solidarité animale, animalité qui s’oppose bien entendu à l’humain destructeur, pollueur. De plus la situation avantageuse de l’homme qui est la seule espèce à maîtriser le langage est ici inversée : il est le seul à ne pas parler aux autres animaux alors que ceux-ci non seulement peuvent parler entre différentes espèces mais comprennent l’humain tout en lui cachant, en faisant ainsi leur bonne dupe, douce vengeance pour le mal que leur fait l’homme.
Toutefois, les choses sont plus complexes, et l’homme seul jugé digne de parler avec les animaux est l’écrivain-poète. En cela, Sepulveda introduit discrètement sa réflexion sur ce qu’est le langage poétique et la littérature. Elle et il ne s’arrêtent pas à la jolie communication d’une histoire moralisatrice mais rétablissent un lien, un instinct, avec la nature. Apprendre à voler à une mouette blessée par la pollution, pour un chat d’appartement, c’est un peu reprendre sa vraie nature, se libérer d’un confortable attachement autodestructeur à la modernité qui endort. Le chat d’appartement, gros et rond, l’homme qui dort dans l’insouciance de ce qui se passe autour de lui, est amené par son obligation envers la nature malade qui se manifeste à lui à sortir de lui-même. Ainsi Zorbas devient à nouveau félin menaçant face à ce qui menace la petite mouette sa protégée, chats, rats, humains… Lui réapprendre à voler, c’est dire que la nature a besoin pour à nouveau s’envoler de l’aide active de l’homme, pas seulement de l’arrêt de ses mauvaises actions. On est bien dans un conte écologique.
Passages retenus
p. 103 : « – Tu es une mouette. Là, le chimpanzé a raison, mais seulement pour cela. Nous t’aimons tous, Afortunada. Et nous t’aimons tous, Afortunada. Et nous t’aimons parce que tu es une mouette, une jolie mouette. Nous ne te contredisons pas quand tu cries que tu es un chat, car nous sommes fiers que tu veuilles être comme nous, mais tu es différente et nous aimons que tu sois différente. Nous n’avons pas pu aider ta mère, mais toi, nous le pouvons. Nous t’avons protégée depuis que tu es sortie de ton œuf. Nous t’avons donné toute notre tendresse sans jamais penser à faire de toi un chat. Nous t’aimons mouette. Nous sentons que toi aussi tu nous aimes, que nous sommes tes amis, ta famille, et il faut que tu saches qu’avec toi, nous avons appris quelque chose qui nous emplit d’orgueil : nous avons appris à apprécier, à respecter et à aimer un être différent. Il est très facile d’aimer et d’accepter ceux qui nous ressemblent, mais quelqu’un de différent c’est très difficile, et tu nous as aidés à y arriver. Tu es une mouette et tu dois suivre ton destin de mouette. Tu dois voler. Quand tu y arriveras, Afortunada, je t’assure que tu seras heureuse et alors tes sentiments pour nous et nos sentiments pour toi seront plus intenses et plus beaux, car ce sera une affection entre des êtres totalement différents. »
p. 118-119 : « Bouboulina était une belle chatte blanche et noire qui passait de longues heures parmi les fleurs d’un balcon. Tous les chats du port se promenaient lentement devant elle, montrant l’élasticité de leur corps, le brillant de leur fourrure bien soignée, la longueur de leurs moustaches, l’élégance de leur queue dressée, ils essayaient de l’impressionner. Mais Bouboulina paraissait indifférente et n’acceptait que les caresses d’un humain qui s’installait sur le balcon avec une machine à écrire.
C’était un humain bizarre qui, parfois, riait en lisant ce qu’il venait d’écrire et d’autres fois froissait sans les lire les pages arrachées à la machine. De son balcon s’échappait toujours une musique douce et mélancolique qui endormait Bouboulina et provoquait de gros soupirs chez les chats qui passaient tout près.
– L’humain de Bouboulina ? Pourquoi lui ? Demanda Colonello.
– Je ne sais pas. Il m’inspire confiance. Je l’ai entendu lire ce qu’il écrit. Ce sont de beaux mots qui rendent joyeux ou triste, mais qui donnent toujours du plaisir et le désir de continuer à écouter, expliqua Zorbas.
– Un poète ! Ce qu’il fait s’appelle poésie. Tome 16, lettre P de l’encyclopédie, précisa Jesaitout. »