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Ramasse tes lettres : La Guerre du feu

Une archéo-fiction finalement loin d’être dépassée

Rosny aîné (J.-H.) 1909, La Guerre du feu, Le Livre de Poche, 1980.

Note : 4 sur 5.

Lecture n°961

Résumé

Les Oulhamr se sont fait attaquer par une autre tribu et ont subi de lourdes pertes. Mais surtout, ils ont perdu le feu. Le chef promet sa fille Gammla à celui qui lui ramènera le feu. Naoh, l’un des jeunes les plus agiles et forts, part avec Nam et Gaw, tandis que le féroce Aghoo part avec ses deux frères. Ils doivent parcourir les longues terres hostiles, à la merci des grands prédateurs que sont les ours, les lions, les hyènes, les loups… avant d’arriver sur les terres des Dévoreurs-d’Hommes, tribus qui n’hésitent pas à manger leurs captifs.

Appréciations

Il est important de préciser que l’essentiel des erreurs historiques qu’on prête à La Guerre du feu, concerne en réalité ses adaptations cinématographiques : l’apparence des hommes, la bestialité supposée des races anciennes Néanderthal ou Erectus. Or, Rosny se garde bien de différencier les tribus d’après différentes espèces d’hommes identifiées. Il évoque simplement une diversité des peuplades humaines, tant dans leurs traits physiques (co-présence de différentes races), que culturels (avancées techniques, pratiques comme le cannibalisme…). Mais la force du travail de Rosny n’est pas dans son aptitude à illustrer dans les détails les découvertes scientifiques et archéologiques de son époque, mais dans sa sensibilité à la reconstitution d’une pensée primitive en formation et même d’une pensée animale. Les interactions animales et humaines sont détaillées psychologiquement, le lecteur suivant leur cheminement mental, des sensations à la pensée ébauchée. C’est d’ailleurs davantage dans la peinture des espèces animales anciennes disparues, ainsi que dans la description des paysages, que Rosny fait passer le plus de poésie.

À partir d’une quête de type concurrentielle, la Guerre du feu devient une fable sur l’entraide qui permet à l’espèce des Oulhamr, plus particulièrement à Naoh, en s’associant d’abord à ses amis, puis aux mammouths puis à une autre espèce d’hommes, les Nains-Rouges dont ils ont sauvé gratuitement un individu, d’amener ou plutôt de propager la technique de création du feu. Contre le vol originel planifié, l’humain triomphant est celui de l’entraide. Cette réflexion est sur ce point à mettre en parallèle avec celle du livre de Kropotkine : L’Entraide, un facteur de l’évolution (de 1902, soit sept ans plus tôt). C’est l’entraide qui marque la force de l’humanité, son développement, non sa force supérieure, ni même son intelligence. L’exemple des deux groupes concurrents est parlant : Aghoo ne compte que sur sa force pour voler le feu, et il échoue car Naoh et les siens s’entraident. Ainsi, l’enjeu de l’aventure, la quête, n’est pas la possession d’un objet après une guerre entre espèces, tel que l’annoncerait éventuellement le titre, mais la survie par la propension à s’entraider, à être en phase avec un environnement, à comprendre la nature, les animaux et à les respecter.

Si le Feu représente le Graal des légendes arthuriennes, il n’est pas moins un prétexte. Ce qui importe est bien la quête, initiatique, qui tout comme elle forme les chevaliers à une idéologie civilisée respectueuse des femmes et de la parole éclairée, forme ici les premières populations à des valeurs supérieures qui garantiront la survie. Rosny ne se prononce pas sur une prétendue supériorité génétique de l’homme moderne qui aurait survécu grâce à ça. Si la sensibilisation à une pensée primitive et même animale constitue le coeur du projet poétique de Rosny, c’est bien celle-ci qui signifie pour Rosny la raison même de la survie de l’espèce humaine : son aptitude à bien vivre avec son environnement (là où les Dévoreurs d’Hommes servent évidemment de contre-exemple). L’espèce d’hommes plus fragile des Nains-Rouges, malgré son déclin, s’insère dans l’évolution humaine : la maîtrise du feu n’est pas l’acquisition d’une technique par l’intelligence mais bien la divulgation d’une technique trouvée par hasard, divulgation qui ne peut être que le résultat de l’entraide humaine, de l’échange pacifié, non de la concurrence des groupes d’hommes.

Bien que la valeur puisse être identifiée comme chrétienne, Rosny évite toute maladresse et naïveté de ce type. Il évite tout développement des croyances primitives, les réduisant à une difficile naissance de la pensée, de l’émerveillement face à la grandeur de la nature.

Passages retenus

Sentiment primitif de l’amour

Naoh n’aimait pas le chef ; mais il s’exaltait, à la vue de Gammla, allongée, flexible et mystérieuse, la chevelure comme un feuillage. Naoh la guettait parmi les oseraies, derrière les arbres et dans les replis de la terre, la peau chaude et les mains vibrantes. Il était, selon l’heure, agité de tendresse ou de colère. Quelquefois il ouvrait les bras, pour la saisir lentement et avec douceur, quelquefois il songeait à se précipiter sur elle, comme on fait avec les filles des hordes ennemies, à la jeter contre le sol, d’un coup de massue. Pourtant, il ne lui voulait aucun mal : s’il l’avait eue pour femme, il l’aurait traitée sans rudesse, n’aimant pas voir croître sur les visages la crainte qui les rend étrangers.

p. 27


La séduction du feu

La vie du Feu avait toujours fasciné Naoh. Comme aux bêtes, il lui faut toujours une proie : il se nourrit de branches, d’herbes sèches, de graisse ; il s’accroît ; chaque Feu naît d’autres Feux ; chaque Feu peut mourir. Mais la stature d’un Feu est illimitée, et, d’autre part, il se laisse découper sans fin ; chaque morceau peut vivre. Il décroît lorsqu’on le prive de nourriture : il se fait petit comme une abeille, comme une mouche, et, cependant, il pourra renaître le long d’un bin d’herbe, redevenir vaste comme un marécage. C’est une bête et ce n’est pas une bête. Il n’a pas de pattes ni de corps rampant, et il devance les antilopes ; pas d’ailes, et il vole dans les nuages ; pas de gueule, et il souffle, et il gronde, il rugit ; pas de mains ni de griffes, et il s’empare de toute l’étendue… Naoh l’aimait, le détestait et le redoutait. Enfant, il avait parfois subi sa morsure ; il savait qu’il n’a de préférence pour personne – prêt à dévorer ceux qui l’entretiennent – plus sournois que la hyène, plus féroce que la panthère. Mais sa présence est délicieuse ; elle dissipe la cruauté des nuits froides, repose des fatigues et rend redoutable la faiblesse des hommes.

p. 78

Vision primitive du monde

Lorsque les trois hommes virent le brasier du soleil descendre vers les ténèbres, ils conçurent la même angoisse secrète qui, dans le vaste pays des arbres et des herbes, agite les herbivores. Elle s’accrut quand leurs ennemis reparurent. La démarche du lion géant était grave, presque lourde ; la tigresse tournait autour de lui dans une gaieté formidable. Ils revinrent flairer la présence des hommes au moment où croulait l’astre rouge, où un frisson immense, des voix affamées s’élevaient sur la plaine : les gueules monstrueuses passaient et repassaient devant les Oulhamr, les yeux de feu vert dansaient comme des lueurs sur un marécage. Enfin le lion-tigre s’accroupit, tandis que sa compagne se glissait dans les herbes et allait traquer des bêtes parmi les buissons de la rivière.
De grosses étoiles s’allumèrent dans les eaux du firmament. Puis l’étendue palpita tout entière de ces petits feux immuables et l’archipel de la voie lactée précisa ses golfes, ses détroits, ses îles claires.
Gaw et Nam ne regardaient guère les astres, mais Naoh n’y était pas insensible. Son âme confuse y puisait un sens plus aigu de la nuit, des ténèbres et de l’espace. Il croyait que la plupart apparaissaient seulement comme une poudre de brasier, variables chaque nuit, mais quelques unes revenaient avec persistance. L’inactivité où il vivait depuis la veille mettant en lui quelque énergie perdue, il rêvait devant la masse noire des végétaux et les lueurs fines du ciel. Et dans son coeur quelque chose s’exaltait, qui le mêlait plus étroitement à la terre.

p. 92

Publié par Cyber Luron

Une nuit de prolo, je suivis par hasard un prince et entrai à la taverne des rêves et croyances. Carnaval de fantômes. Dans le cabaret des miracles, je cherchais le non-dit ; en coulisses, je démasquai les bavards littéraires et m'aperçus que j'en portais également ; à la tour des langues, je redescendis dans l'atelier. J'y oeuvre, contemplant la nature, songeant aux premiers hommes qui vivaient sans y penser, groupés.

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